Dossier. Racisme au Québec : Au-delà du déni
Décoloniser nos relations
En 2004, en territoire mohawk à Kanawake, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et Femmes autochtones du Québec (FAQ) signaient un protocole de solidarité qui inspire toujours les relations entre les deux organisations. Pour mieux comprendre les origines de ce processus et les leçons à en tirer, À bâbord ! a rencontré Michèle Asselin, présidente de la FFQ à cette époque.
Pour Mme Asselin, cette entente est un « texte fondateur de la reconnaissance explicite du colonialisme par la FFQ et de la nécessité d’établir une alliance de nation à nation avec les femmes autochtones ». Cette démarche représente une leçon pour les enjeux d’inclusion des personnes racisées au sein d’espace de lutte à majorité blanche. Quelques années avant, la FFQ se questionnait sur l’absence d’adhésion de FAQ à leur organisation. Ainsi, en 2003, la direction de la FFQ a adressé une demande officielle à FAQ pour que celle-ci joigne ses rangs dans l’optique de travailler de concert sur les enjeux des femmes. Cette demande témoignait d’une volonté de rapprochement et de solidarité. Or, les femmes de FAQ n’ont pas voulu devenir membres de la FFQ, car elles se reconnaissaient avant tout dans leur propre association. Elles ont plutôt proposé de travailler conjointement à établir des cadres de collaboration pour réaliser ce travail d’égale à égale et non dans une configuration d’une organisation devenant membre de l’autre. La réponse de FAQ illustre bien que l’enjeu de la convergence de leurs luttes respectives n’était pas leur réunion au sein d’une même instance, mais la communication entre les différents espaces de résistances et d’actions, permettant de faire valoir les voix distinctes des deux groupes. C’est ainsi qu’est venue l’idée d’écrire ce protocole.
Un partenariat entre égales
Bien que ponctuel et sur des enjeux précis, le travail de collaboration entre les deux organisations existait bien avant la rédaction du protocole de solidarité. Certains groupes membres de la FFQ avaient aussi développé des pratiques d’intervention qui tenaient compte des cultures propres aux nations autochtones avec lesquelles elles travaillaient. Il s’agit d’une première leçon. Pour être allié·e·s, il faut se connaître et avoir des bases de travail commun. Mais appuyer des luttes épisodiques n’est pas suffisant pour réellement parler d’alliance. En ce sens, l’identification du colonialisme comme rapport de pouvoir a été le point le plus marquant de cette démarche pour Mme Asselin et a représenté un renouvellement pour la Fédération de Femmes du Québec. Or, cette prise en compte du colonialisme ne s’est pas faite spontanément, mais elle est le résultat de ces pratiques de solidarité déjà présentes entre les deux groupes. Michèle Asselin le dit clairement : toutes les membres de la FFQ ont été impliquées dans le processus. Des ateliers d’éducation populaire sur les réalités des femmes autochtones et sur les rapports coloniaux que nous entretenons avec les Premières Nations ont été menés dans les groupes membres de la FFQ pour que ce poids du colonialisme soit connu et compris de toutes. « À la signature, j’ai engagé toute la FFQ, qui regroupe la majorité des groupes autonomes de femmes du Québec, alors c’était un engagement qui nous rendait responsables, nous et toutes celles qui allaient nous suivre, de concrétiser ce protocole », précise Mme Asselin. L’entente représente donc une étape dans la constitution de rapports égalitaires entre les deux groupes, qui doivent être constamment réactualisés par des actions concrètes.
Ce n’est sans doute pas un hasard si ce protocole de solidarité a émergé d’une tradition féministe : celle-ci est porteuse d’éléments à intégrer dans des démarches visant la création d’alliances entre différents lieux de luttes. De fait, l’intervention féministe appelle à tenir compte de la diversité du vécu des femmes en cherchant à les amener à trouver leurs propres solutions aux réalités qu’elles vivent. Il s’agit d’une recherche de relation égalitaire entre l’aidée et l’aidante où la notion d’experte – celle qui saurait ce qui doit être fait – est vue comme néfaste à l’émancipation individuelle et collective. Selon Mme Asselin, ces éléments ont certainement joué dans le processus ayant mené à la rédaction du protocole, car il s’agit avant tout de reconnaître l’autonomie des groupes et des individus. Cette valorisation de l’autonomie des organisations et la prise en compte de leurs revendications par les groupes majoritaires sont primordiales pour toute tentative de coalition.
Les suites du protocole
Loin d’être une fin, le protocole de solidarité n’était qu’un moyen pour concrétiser le désir de la FFQ et de FAQ de travailler ensemble de façon égalitaire, ajoute Mme Asselin. Ce désir d’action s’est d’abord concrétisé par des gestes politiques posés conjointement et par des mobilisations de la FFQ en appui à FAQ, notamment sur la question des violences envers les femmes autochtones. À d’autres moments, cette solidarité s’est manifestée en laissant le leadership aux femmes autochtones lors d’actions communes, comme en 2005, à Québec, lors du relais de la Marche mondiale des femmes. Une délégation de femmes autochtones avait accueilli la délégation internationale des femmes, puisque, sur ce territoire qui est le leur, c’était à ces femmes de recevoir les militantes du monde entier. « Il s’agissait de reconnaître qu’elles sont les premières nations du Québec et que nous ne pouvons pas nier leur présence. Reconnaître leur autonomie et leur propre voix permet de bâtir, pierre après pierre, ces rapports différents qu’on veut établir ensemble. » Depuis, cette solidarité n’a jamais été remise en question et a été réactualisée lors des États généraux de l’action et de l’analyse féministe en 2013 par un désir d’aller plus loin en rédigeant une politique qui permettrait de concrétiser davantage l’engagement pris lors de la signature du protocole. Ce travail est toujours en cours et le désir de gestes porteurs de solidarité a été enchâssé dans les orientations du congrès de la FFQ de 2015.
Les acquis de la convergence de luttes
Bien que cette démarche soit propre aux deux organisations liées par ce protocole, les éléments qui s’en dégagent livrent des clés importantes pour toute tentative de convergence des luttes. Ce qui ressort le plus fortement, c’est que les personnes que nous cherchons à inclure dans nos espaces sont déjà impliquées dans leurs propres lieux de luttes, qui doivent être valorisés comme tels. Il s’agit donc de travailler à établir des canaux de communication, basés sur une solidarité mutuelle, entre différentes organisations pour que celles-ci se nourrissent l’une l’autre. Cette convergence ne doit pas non plus se contenter de discours, mais doit aussi et surtout déboucher sur des actions politiques et des gestes symboliques, posés conjointement, où le leadership est assumé, selon les enjeux, par l’une des organisations. Ce réel désir d’agir ensemble, d’égale à égale, est une autre leçon que nous livre Mme Asselin, car, finalement, ces canaux de dialogues servent à l’action et ne sont donc pas une fin en soi. Par ailleurs, l’ancienne présidente de la FFQ nous invite aussi à ne jamais voir ce travail de communication et de reconnaissance réciproque comme un processus fini, mais comme un travail quotidien qui doit continuellement être renouvelé.