Retour sur l’article « Pas de capitalisme sans racisme », de Mostafa Henaway
De nombreuses personnes ont commenté le texte de Mostafa Henaway, « Pas de capitalisme sans racisme » qui ouvre le dossier sur le racisme du numéro 67 d’À bâbord !, suite à sa publication dans Le Devoir le 3 janvier dernier. Nous souhaitons les remercier d’avoir fait œuvre utile, pour la plupart, en appuyant avec brio la thèse centrale du dossier duquel était tiré cet article.
Dans notre présentation, nous constations en effet que bien que le racisme existe au Québec, il est difficile d’en parler collectivement. Nous nous interrogions : « Est-ce le statut historique de conquis de Québécois et Québécoises francophones d’ascendance européenne qui fait oublier leur propre héritage colonial ? Qui empêche certaines personnes de voir que la majorité qu’elles forment a suffisamment de pouvoir pour assujettir des communautés minoritaires ou les Premières nations ? ». Vos commentaires sont à cet égard d’une grande éloquence.
L’objectif de ce dossier Racisme au Québec : au-delà du déni n’était pas de stigmatiser le Québec comme étant un endroit plus raciste qu’un autre, mais plutôt de voir comment nous pouvions collectivement nous mobiliser pour y faire face, en toute honnêteté, comme allié.e.s des groupes racisés, en donnant la parole aux personnes luttant au quotidien contre le racisme. Si les commentaires présentent des arguments aussi pertinents que : « Que dire de Boucar Diouf qui est heureux d’être ici ? » ; certains sont franchement racistes et méritent une réponse.
Mostafa Henaway a écrit cet article à la demande d’À bâbord !. Conclure de manière précipitée qu’il écrit à titre d’immigrant arabe ingrat en dénonçant sa communauté d’accueil, voire même que s’il n’est pas reconnaissant, il n’a qu’à retourner d’où il vient, fait montre de raccourcis intellectuels inquiétants, l’essentialise en discréditant la valeur de sa prise de parole. Ce type de réaction, de plus en plus courant grâce aux médias sociaux, menace ici la capacité des minorités culturelles de dialoguer en toute confiance sur la discrimination raciale au Québec, risque de mener à une autocensure qui ne fait que polariser la population.
La suite interminable de commentaires sur Facebook ou sur le site du Devoir révèle en fait combien la question est délicate et comment se comparer avec d’autres communautés (« Pourquoi dénigrer le Québec ? Aux États-Unis c’est mieux ? ») ou se victimiser (en suggérant le racisme devient un prétexte pour demander des privilèges en tant que minorité) peut engendrer une déresponsabilisation quant au racisme, un problème universel. Évitons les sophismes : dénoncer le racisme et le fait qu’il sert l’implantation d’un capitalisme déshumanisant ne signifie pas qu’on est raciste anti-Québécois ou anti-blanc ; ni à vouloir invisibiliser l’histoire du Québec pour prôner des valeurs islamistes.
Comme nous nous y sommes engagé.e.s en conclusion de notre dossier, il est crucial que la population du Québec, incluant la revue À bâbord !, développe collectivement l’humilité d’écouter et d’entendre « l’Autre » ; de prendre conscience de nos privilèges basés sur la race, la classe et le genre pour éviter de contribuer à l’invisibilisation des combats antiracistes. C’est ce à quoi vous êtes convié.e.s en lisant le dernier numéro de la revue.
Finalement, nous nous questionnons sur les politiques du Devoir lorsque des collaborateurs ou collaboratrices sont l’objet d’attaques gratuites, hostiles, qui ciblent à l’évidence la personne qui écrit plutôt que le propos lui-même. On peut hausser les épaules en se disant qu’il est toujours préférable de ne pas lire les commentaires sur Internet, mais il nous semble que tout média doit s’assurer d’offrir un climat de discussion respectueux tant à ses auteur.e.s qu’à ses lectrices et lecteurs, particulièrement dans le contexte de montée de l’intolérance qui est le nôtre, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde.