Dossier : Europe - Peuples en (…)

Présentation du dossier du no 62

Europe - Peuples en mouvement

Caroline Brodeur, Philippe de Grosbois, Claude Vaillancourt

« Grândola, vila morena / Terra da fraternidade / O povo é quem mais ordena / Dentro de ti, ó cidade / (...) Em cada esquina um amigo / Em cada rosto igualdade »

« Grândola, ville brune / Terre de fraternité / Seul le peuple ordonne / En toi, ô cité /(...) À chaque coin un ami / Sur chaque visage, l’égalité »

Diffusée sur une radio pirate au Portugal le 25 avril 1974, la chanson Grândola Vila Morena fut lancée comme un appel à renverser la dictature salazariste. Le même jour, le régime s’effondra, dans ce qu’on appellera la « révolution des œillets ». Presque 40 ans plus tard, au début de l’année 2013, des militant·e·s interrompirent le premier ministre au Parlement portugais en entonnant cette même chanson. Grândola Vila Morena fut ensuite reprise dans de nombreuses manifestations contre l’austérité à travers le pays, jusqu’en Espagne. Et au moment où nous terminions ce dossier, on apprenait qu’une coalition de partis de gauche forçait le gouvernement de droite à quitter le pouvoir, pour une première fois en 40 ans.

Les peuples d’Europe du sud voient juste en disant que leurs pays sont passés « de la dictature militaire à la dictature financière ». Franco et les colonels grecs ont troqué leur uniforme de chefs d’armée pour de luxueux complets ; les Salazar de notre temps sont désormais banquiers au Fonds monétaire international, à la Commission européenne et à la Banque centrale européenne – la « troïka », pour les intimes. Comme le soutenait le représentant international de Podemos, Pablo Bustinduy Amador, lors de sa visite à Montréal en juin dernier, l’austérité est d’abord et avant tout une attaque contre la démocratie. Si l’Europe est un terrain de luttes aussi stimulant aujourd’hui, c’est peut-être parce que les mouvements sociaux ont bien saisi qu’il s’agit de l’enjeu central.

Et c’est peut-être pour cette même raison que les batailles que nous présentons dans ce dossier prennent souvent la forme d’expériences démocratiques originales et inspirantes : assemblée constituante en Islande, candidatures citoyennes victorieuses aux élections municipales espagnoles, démocratie directe à l’essai dans certaines communes françaises... Plusieurs des « indigné·e·s » d’hier cognent aujourd’hui aux portes des parlements. Les défis sont immenses, car en plus de chercher à renverser l’austérité et à renouveler la pratique de la démocratie, les forces de gauche doivent aussi lutter contre des mouvements et partis d’extrême droite qui se nourrissent de désespoir et attisent la haine. Les tensions et violences suscitées par l’arrivée massive de réfugié·e·s syrien·ne·s, entre autres, sont aussi très préoccupantes.

Notre dossier cherche à faire un survol – incomplet, hélas – de ce champ aux multiples batailles qu’est l’Europe d’aujourd’hui. Il se veut également une invitation à suivre ce continent de près, parce que les luttes qui s’y déploient (contre l’austérité, la peur et la haine ; pour une démocratie réelle, les droits sociaux et l’ouverture des frontières) préfigurent les nôtres à plusieurs égards.

Post-scriptum : Les attentats terroristes du 13 novembre à Paris se sont produits au moment où nous mettions la touche finale à ce dossier. Une fois de plus, l’extrémisme haineux et le délire sécuritaire viennent s’interposer devant la marche de mouvements sociaux démocratiques, internationalistes et pacifistes. En réponse à cette surenchère guerrière, les mouvements de résistance mentionnés dans ce dossier demeurent plus pertinents que jamais, de même que les analyses développées par nos collaborateurs·trices. Nos pensées vont aux proches des victimes de la violence terroriste, que celle-ci soit à Paris, Beyrouth ou Raqqa, islamiste ou étatique, par balle ou par drone. Et nos espoirs se tournent vers celles et ceux qui répliqueront à ce fléau par les mêmes voies que ce dossier met de l’avant : démocratie, justice et ouverture à l’autre.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème