Un livre, deux lectures
Walmart. Journal d’un associé
Walmart. Journal d’un associé, Hugo Meunier, Montréal, Lux éditeur, 2015, 180 p.
Le journalisme d’enquête est suffisamment rare au Québec pour ne pas bouder notre plaisir lorsqu’on en rencontre. Journaliste à La Presse, Hugo Meunier s’est infiltré durant quelques mois dans une succursale de Walmart à Saint-Léonard, dans le nord de Montréal. Tenant un journal, il décrit par le menu sa vie dans l’entreprise et l’ironie de la vie d’« associé » de cette multinationale du commerce de détail.
« À quoi ressemble la vie quotidienne de ceux et celles qui contribuent de leur temps et de leur sueur au succès de l’entreprise ? […] [J]e voulais témoigner de l’expérience des individus que dissimulent les bas prix et des mots creux comme « associé ». » C’est donc par le petit bout de la lorgnette qu’est scruté le modèle économique capitaliste que représente une entreprise comme Walmart.
Meunier nous décrit l’atmosphère générale des « quartiers » des employé·e·s qui lui rappellent l’école secondaire – indice du couple paternalisme/infantilisation qui marque les relations de travail –, les séances de formation combinant endoctrinement et standardisation, les horaires atypiques qui rendent difficile toute vie hors travail et les techniques du management de proximité. Il en conclut qu’il se trouve « quelque part entre l’armée et Walt Disney ».
Mais le plus intéressant, ce sont ces portraits des personnes employées chez Walmart, celles qui gagnent souvent un salaire qui ne permet pas de joindre les deux bouts. Des portraits empathiques mais sans complaisance de ceux et celles qui n’ont d’autre choix que d’y travailler. Comme Nancy « qui doit se lever à trois heures [du matin] pour aller au travail en raison des contraintes du transport en commun », Mélissa « qui a vu le nombre de ses heures fondre » ou Christian qui « jubile » parce qu’il a « gagné un tournevis à têtes multiples ». Tout en étant conscient que sa propre expérience est limitée dans le temps chez Walmart contrairement à ses collègues de fortune, Meunier ne les traite pas avec condescendance.
Ce journal de bord, entrelardé de réflexions sur le modèle d’entreprise de Walmart ou sur la tentative de syndicalisation d’une succursale au Lac St-Jean, vient donc confirmer tout le mal que l’on peut penser de l’entreprise. L’auteur est également assez critique envers la clientèle qui court les soldes, tout en étant conscient que l’un des paradoxes, c’est que certain·e·s n’ont pas le choix, à commencer par les employé·e·s qui sont tellement mal payés qu’ils et elles ne peuvent pas vraiment acheter ailleurs.
Diane Lamoureux
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Journaliste à La Presse, Hugo Meunier a passé trois mois en infiltration comme employé dans un Walmart de Saint-Léonard. Il raconte ses journées de travail, les modes de fonctionnement de l’entreprise, aborde la syndicalisation à Jonquière. Un petit livre rondement mené, qui se lit d’une traite et fait quelquefois sourire – jaune. Notamment lorsque le journaliste décrit des événements aussi surréalistes que le party d’inauguration d’un supercentre : à 6h45 du matin, tout le monde sur son trente-et-un, avec danse, discours émus et prestations musicales des cadres et employé·e·s sur fond de Eye of the tiger (oui oui, la musique de Rocky).
Une question demeure cependant ; à l’heure actuelle, quelle est la pertinence, autant sociale que journalistique, d’un tel ouvrage ? On a déjà beaucoup écrit sur Walmart. N’aurait-il pas été plus pertinent d’infiltrer une autre entreprise dont les pratiques ne sont pas encore connues du public, comme l’a fait Jean-Batiste Mallet avec Amazone (En Amazonie, infiltré dans le “meilleur des mondes”, Fayard, 2013) ? Ou de laisser la parole aux travailleuses et travailleurs, premiers affectés par les méthodes Walmart. Ils et elles en ont certainement long à dire sur leurs conditions de travail, les raisons qui les poussent à travailler pour cette entreprise et leurs stratégies de résistance et de résilience dans ce cadre hostile. Leur offrir de l’espace aurait constitué, en plus d’une dénonciation des pratiques salariales et organisationnelles de l’entreprise, une solidarité avec ces travailleurs·euses précaires et dévalorisés.
Ici, on en apprend plus sur Hugo Meunier et sur sa perspective de classe moyenne-supérieure sur cet emploi, ce type de magasin et sa clientèle, ses collègues. Avec par-ci par-là des commentaires franchement classistes et méprisants : « Je cherche à comprendre, en vain, pourquoi les gens s’imposent tant d’ennui et de frustration au lendemain de Noël. Pour économiser ? Je comprends que des gens moins nantis soient en quête d’économies, mais je ne pense pas que les consoles Wii ou autre jeux vidéo, et les films – de loin les articles les plus dévalisés – constituent des produits de première nécessité. » Bref, un ou une bonne pauvre ne devrait pas aspirer aux produits de la société de consommation, et ses enfants n’ont qu’à jouer avec des boîtes de sardines !
On est loin du Quai de Ouistreham de Florence Aubenas (2010), un travail d’enquête de six mois pendant lesquels elle a vécu la vie précaire de ceux et celles qui enchaînent les petits boulots qui ne permettent pas de vivre, afin de montrer l’impact de la crise économique sur la vie des plus défavorisé·e·s. Est-il possible d’imaginer que La Presse détache un jour un·e journaliste pendant trois mois pour chroniquer la réalité des travailleurs et travailleuses précaires ? On peut toujours en rêver…
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