Grèce. Bras de fer entre Tsípras et la Troïka
Perdre la bataille, gagner la guerre ?
Dossier : Europe - Peuples en mouvement
Le 20 septembre dernier, le premier ministre grec Alexis Tsípras a gagné son troisième pari politique en moins d’un an. Après les élections de janvier et le référendum de juillet, la population grecque a de nouveau décidé de remettre le pouvoir entre les mains d’un parti ayant fait volte-face. Syriza, qui s’était à l’origine fait élire pour ses politiques anti-austérité et son agenda combatif, décrit en effet maintenant les mesures imposées par le plan d’aide de la Troïka comme un mal nécessaire. Retour sur le jeu de pouvoir gréco-européen.
« J’assume la responsabilité pour un texte auquel je ne crois pas, mais je le signe pour éviter tout désastre au pays. » Cette déclaration de Tsípras au moment du déclenchement des élections de cet automne s’est malheureusement avérée symptomatique de la campagne qui a suivi. Elle n’aura servi qu’à expliquer aux électeurs les raisons l’ayant poussé à accepter – contrairement à la volonté exprimée lors du référendum – un plan de mesures d’urgence de 86 milliards d’euros ainsi qu’un troisième programme d’ajustements structurels.
Il faut le dire : les dernières élections étaient loin d’être aussi enlevantes que celles de janvier passé. En septembre, l’espoir et la verve manquaient ; la participation électorale s’en est ressentie, avec 650 000 électrices·teurs en moins par rapport au 25 janvier 2014. Les personnes qui se sont déplacées jusqu’aux urnes, elles, ont choisi d’endosser le statu quo.
Les projets contraires
Un changement important a pourtant eu lieu. Le parti Unité populaire, né d’une scission des forces les plus à gauche de Syriza et s’opposant au plan d’« aide » imposé, n’a pas trouvé écho au sein de la population qu’il croyait pourtant servir. Aucun député ne s’est fait élire, le parti n’ayant pas récolté les 3 % des voix nécessaires afin d’occuper un siège au parlement. Leur programme anti-austérité n’a pas été endossé par la population grecque, qui semble à la fois désillusionnée et soulagée de ne pas avoir à subir les conséquences d’un Grexit.
Si sa reconduite au pouvoir lui a permis de consolider à nouveau son sentiment de légitimité, son agenda politique et social s’annonce toutefois parsemé d’importants obstacles. La première communication Twitter de celui-ci lors de sa réélection l’illustre bien : « Devant nous s’ouvre la voie du travail et des luttes. »
Mais de quel genre de luttes parle-t-il ? Le premier ministre dit vouloir conjuguer les mesures austéritaires « nécessaires » avec son projet de revitalisation de l’économie grecque et sa plateforme gouvernementale axée sur la justice sociale. Or, le travail requis semble gigantesque pour une formation politique dotée de moyens pour le moins limités. Avec le chômage endémique et les problèmes sociaux d’une part, le poids des remboursements de la dette de l’autre, la marge de manœuvre s’annonce infiniment mince. Avec de nouvelles rondes de réformes à prévoir, comment le gouvernement Tsípras fera-t-il pour épargner au mieux la population grecque ? Une population qui subit de plein fouet les politiques austéritaires depuis 2010. La hausse du taux de mortalité infantile, du taux de suicide ainsi que du taux d’infection au VIH ne sont que de tristes exemples des graves problèmes auxquels le gouvernement syrizien devra s’attaquer.
Une dette difficile à négocier
Les membres de la Troïka avaient prédit, lors de leur première intervention en 2010, que leur bénéficiaire arriverait à se refinancer elle-même dès 2012. Il s’est plutôt avéré que deux plans d’aide n’ont pas suffi pour atteindre cet objectif : la dette souveraine grecque n’est toujours pas – six ans après les premiers fonds d’urgence – viable et la Grèce n’arrive pas à contracter de nouveaux prêts.
De plus, la dette n’a cessé d’augmenter et l’on note que ses créanciers – la France, la Banque centrale européenne et l’Allemagne – auraient empoché des milliards d’euros de profits depuis le début de la crise. Les créanciers ont également promis au gouvernement en place une réouverture des négociations de la dette souveraine dès que ce dernier enregistrerait un excédent. Or, lorsque la Grèce a réussi l’exercice en 2014, l’Europe lui a fait défaut.
Ce n’est donc pas la première fois que l’Europe manque à ses promesses. Avec le refus des dirigeant·e·s européen·ne·s de renégocier la dette en juillet dernier, alors qu’ils avaient promis de le faire un an auparavant, le contexte ne s’annonce pas nécessairement plus favorable politiquement depuis la capitulation d’Athènes.
Si en octobre, Tsípras a su faire approuver ses premières mesures de réformes, il lui reste tout de même à gagner un pouvoir de levier en vue d’éventuelles négociations. Prise dans une spirale d’endettement, une difficulté à se financer et des tensions politiques avec ses principaux créanciers, la Grèce n’arrivera pas seule à réformer et combattre les inégalités inhérentes au fonctionnement actuel de l’Union européenne, nous semble-t-il. Il est ainsi impératif que les formations politiques similaires et sympathisantes s’unissent si celles-ci désirent former un contrepoids à la Troïka et aux diktats que font subir les marchés à la dette souveraine des pays du sud de l’Europe.