Éditorial du no 62
Solidarité avec les femmes autochtones
Les femmes algonquines soutenues par le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or ont rompu le silence. En révélant les abus sexuels criminels dont elles disent avoir été victimes de la part d’agents de la Sûreté du Québec, ces femmes ont déclenché un raz-de-marée médiatique qui a forcé le gouvernement à « agir ». Comment ? En proposant une rencontre qui s’est avérée infructueuse avec les chefs autochtones et en promettant de l’argent pour appuyer les organismes qui travaillent avec les femmes autochtones de Val-d’Or. Une goutte d’eau en pleine tempête... De haut en bas, d’un bout à l’autre, les appareils gouvernementaux ont failli à protéger et soutenir ces femmes en situation de grande vulnérabilité.
Combien d’années – et surtout combien d’atrocités – aura-t-il fallu pour que les demandes des femmes autochtones trouvent enfin écho ?
Pour faire la lumière sur ces insupportables révélations, le ministère de la Justice du Québec a confié une enquête policière au Service de police de la Ville de Montréal. Quel signal envoie le gouvernement lorsqu’il confie à des policier.e.s le soin d’enquêter sur d’autres policier.e.s ? Doit-on craindre un
manque d’indépendance ? À cet égard, la nomination comme observatrice de Fannie Lafontaine, spécialiste du droit international et des droits fondamentaux, pour assurer l’impartialité de l’enquête nous rassure en partie. Il reste que, comme celle-ci l’expliquait en entrevue au Devoir : « Le problème est systémique. [...] Ce dont on parle ici, c’est une enquête criminelle sur les agissements des policiers. Cette enquête ne va pas résoudre tous les problèmes. »
La Loi sur les Indiens et les politiques coloniales qui perdurent sont responsables, entre autres, « des réalités auxquelles les femmes autochtones doivent faire face au quotidien tels l’héritage de la colonisation, la pauvreté, l’accès limité au logement, le racisme et l’échec des systèmes supposément mis en place pour leur venir en aide ». Ce sont les Femmes autochtones du Québec (FAQ) elles-mêmes qui le disent, en insistant sur le fait que, malgré tout cela, les femmes sont « porteuses de vie et d’espoir au sein de leur communauté ».
Ainsi, on a vu les femmes autochtones, québécoises et acadiennes se mobiliser lors des grandes manifestations d’Idle No More et les drapeaux migmaq, acadiens et québécois se déployer sur la réserve de Gasgapegiaq, près de Maria en Gaspésie. On voit chaque jour dans les régions où se côtoient nos communautés des projets économiques et sociaux conjoints favoriser des liens intercommunautaires durables. Mais les cicatrices sont profondes. Le racisme est un mal qui a la couenne dure. Il est temps, ensemble, de mettre la main à la pâte et de forcer les gouvernements à adopter des politiques proactives.
De la parole aux actes
Les femmes autochtones du Québec présentes à la rencontre des chefs avec le premier ministre Couillard ont d’ailleurs demandé « la réinstauration du Plan d’action pour contrer le racisme et la discrimination envers les Autochtones mis en place par le gouvernement péquiste en 2013 et mort avec l’élection du gouvernement libéral actuel ». Comme la FAQ, nous croyons qu’il est « essentiel que nous nous penchions sur les causes du racisme et de la discrimination, car ceux-ci sont au cœur des problèmes que vivent encore les Autochtones aujourd’hui ».
Les dénonciations révélées à l’émission Enquête n’ont pourtant pas suffi à convaincre le premier ministre du Québec de mettre en place une enquête plus large sur le sort des femmes autochtones et le rôle de la police dans ces milieux. A-t-on peur que soit étalée au grand jour une situation connue mais trop longtemps étouffée ? À Val-d’Or et ailleurs ? Craint-on que ne soit mise à nue l’incurie scandaleuse et séculaire des pouvoirs politiques ?
Une lueur d’optimisme se profile pourtant au niveau fédéral. D’une part, une Autochtone a accédé pour la première fois au poste de ministre de la Justice. Jody Wilson-Raybould est membre de la nation We Wai Kai et ancienne cheffe des Premières Nations de Colombie-Britannique. D’autre part, la nouvelle ministre des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, a annoncé qu’elle consulterait les familles des victimes, des représentants des provinces et des territoires ainsi que des organisations communautaires en vue de définir le mandat de la commission d’enquête nationale sur la disparition et les meurtres de 1 200 femmes autochtones.
Mais seules la mobilisation et la vigilance feront en sorte que les
promesses libérales se traduisent enfin en actes et surtout que la commission d’enquête, réclamée depuis si longtemps, ne reste pas lettre morte. Comme d’autres avant elle.