Dans le ciel médiatique, L’Étoile du Nord brille.

24 juillet 2024

Dans le ciel médiatique, L’Étoile du Nord brille.

Entrevue avec le Comité éditorial de L’Étoile du Nord. Propos recueillis par Isabelle Bouchard et Samuel Raymond.

Isabelle Bouchard, Samuel Raymond

Un nouveau média populaire s’ajoute à l’univers médiatique québécois. Qu’est-ce que L’Étoile du Nord ?

À Bâbord ! : Quelle est la signification du nom de votre média ?

Comité éditorial de L’Étoile du Nord (CÉ) : Premièrement, c’est l’étoile qui guide vers un changement social profond, tout en étant une référence au Canada, la région au nord du continent. C’était aussi le nom d’un journal américain publié au 19e siècle par Frederick Douglass, qui luttait pour la libération des esclaves aux États-Unis. À travers tout ça, nous voulions évoquer l’image du chemin vers la libération des chaînes de l’exploitation et de l’oppression.

ÀB ! : Quelle est l’histoire de la fondation de votre média ? Quelle est votre ligne éditoriale ?

CÉ  : L’idée originale de L’Étoile du Nord provient de différentes organisations militantes de Montréal qui collaboraient déjà de façon ponctuelle. La réflexion a commencé à la fin de 2020, en pleine crise de la COVID-19, alors que nous réalisions qu’il nous manquait un outil crucial : un média grand public d’information et d’analyse, qui pouvait promouvoir une vision basée sur le point de vue de classe des travailleurs·euses, permettant ainsi de connecter les mouvements.

Ça a donc été important pour nous, dès le début, que les membres fondateur·rices proviennent de différentes régions du Canada. Nous avons ainsi réussi à nous associer à des militant·es de la grande région de Toronto à travers le réseau du défunt journal de gauche Basics, qui nous a ensuite ouvert des portes à Winnipeg, Vancouver et Halifax.

Nous avons lancé le média sur les réseaux sociaux en janvier 2022 avec cette infrastructure déjà en place. Nous avons décidé de rester actifs·ves uniquement sur Facebook, Instagram et Twitter pour une période d’expérimentation. Nous avons ensuite conçu notre « Guide de journalisme populaire », qui contenait notre ligne éditoriale et nos méthodes de travail. 

Notre ligne éditoriale se base sur le point de vue de la classe des travailleurs·euses, peu importe leur nationalité, puisque ce sont eux et elles qui font fonctionner la société. À l’opposé, les grands conglomérats médiatiques ont l’habitude, dans le meilleur des cas, de mettre sur un pied d’égalité l’opinion de l’exploiteur·rice et de l’exploité·e, au nom de l’objectivité. Mais dire la vérité, ce n’est pas nécessairement « objectif » dans le sens idéalisé de la théorie journalistique bourgeoise. Leur méthode est un positionnement politique, puisque la vérité peut être présentée en donnant la priorité à tel ou tel point de vue, en organisant l’information véridique (intentionnellement ou pas) pour orienter vers une conclusion. Nous avons donc fait notre choix : nous mettons de l’avant les exploité·es et les opprimé·es.

Bref, nous avons lancé notre site web en mars 2023. Nous visons maintenant la prochaine étape, toujours dans le but de devenir un réel média de masse.

ÀB ! : De quelles provenances sont les membres de votre équipe ?

CÉ : L’Étoile du Nord a été initialement créée par des militant·es provenant, notamment, de groupes de mobilisation des locataires, de lutte pour les conditions de vie dans les quartiers, des luttes ouvrières et syndicales, etc. Aujourd’hui, nous sommes constitué·es en bonne partie de journalistes qui débutent leur « carrière militante ». Plusieurs de ces nouveaux et nouvelles camarades ont des formations pertinentes au travail médiatique et proviennent de différentes communautés.

ÀB ! : Qu’est-ce que signifie pour vous la notion de journalisme populaire ?

CÉ : Le journal Basics, principalement distribué à Scarborough à Toronto jusqu’en 2018, évoquait déjà l’idée du journalisme populaire. Ils avaient développé un guide court, basé sur une interprétation de la théorie journalistique de base mise en relation avec les expériences de journaux populaires du passé, comme The Black Panther. À travers nos échanges avec le collectif derrière Basics, les membres fondateurs·rices à Montréal ont travaillé à structurer ces idées et développer la méthode. Nous l’avons amené à interagir avec d’autres expériences, comme celle des militant·es du Front Démocratique National des Philippines et leur journal Libération.

Notre inspiration qui est sans doute la plus controversée, c’est Rebel News. Évidemment, ce n’est certainement pas pour leurs idées ou pour leur support tiré des grands monopoles du pétrole de l’Alberta. C’est plutôt pour leur style acerbe ; pour leur présence dans les mouvements qu’ils supportent ; pour leur façon de structurer les idées, qui mènent toujours à des conclusions, créées par une accumulation d’exemples soigneusement sélectionnés ; etc. On s’est dit qu’on se devait de s’inspirer de ces succès, malgré notre positionnement politique à l’opposé.

Le journalisme populaire accorde une importance capitale au terrain en consultant les acteurs·rices des mouvements sociaux et en révélant les forces de classe qui s’affrontent. Les sujets sélectionnés doivent permettre de peindre un portrait de la société et de ses mécanismes, à travers une accumulation d’exemples concrets. De la même façon, il est important de démontrer toutes les avenues qui pourront mener à un changement social réel et profond. Ce que nous faisons à l’aide du journalisme populaire, c’est tenter de récolter le plus de discours et d’idées possibles, les synthétiser du mieux que l’on peut afin d’en faire des idées et des solutions plus avancées et efficaces, puis de les rapporter au plus grand nombre.

ÀB ! : Comment fonctionnez-vous ?

CÉ : Les membres de L’Étoile du Nord sont divisé·es en comités locaux et en comités spécialisés pour la production vidéo et la révision/traduction. Les grandes orientations sont déterminées par un comité éditorial et administratif composé de trois membres, supporté par la réunion mensuelle des secrétaires des comités. Les sujets d’articles sont généralement choisis de façon collective lors de rencontres locales. Le choix de l’angle est facilité par le comité éditorial sur la base de notre Guide de journalisme populaire. Les articles sont ensuite rédigés individuellement ou par des équipes de journalistes à la suite d’entrevues.

ÀB ! : Quels reportages de l’Étoile du Nord ont-ils le plus défini ce que vous voulez accomplir en tant que média ?

CÉ : Trois dossiers couverts par L’Étoile du Nord nous viennent en tête : le « Convoi de la liberté », la fermeture de la mine à Matagami et les grèves du Front commun. Ces exemples sont représentatifs de la priorité qu’on accorde à l’enquête sur le terrain. Par exemple, plutôt que d’adhérer sans réfléchir aux suppositions et aux anecdotes rapportées par les grands médias lors des événements du « Convoi de la liberté », L’Étoile du Nord s’est rendue sur le terrain pour parler aux manifestant·es afin de comprendre les dynamiques sous-jacentes de l’événement. Lorsque la Mine Matagami a fermé, nous avons fait huit heures de route pour témoigner des impacts sur les travailleurs·euses et les résidents·es. Lors des mobilisations du secteur public de 2023, nous avons produit deux courts documentaires et une douzaine d’articles où la perspective des travailleurs·euses était au centre de la couverture. 

ÀB ! : Les médias indépendants de gauche sont souvent précaires financièrement. Comment votre média parvient-il à fonctionner ?

CÉ : Notre engagement politique rend difficile l’obtention de financement et nous force à faire preuve de créativité. Nous comptons présentement sur notre lectorat pour nous financer à travers des dons ponctuels, et éventuellement, des abonnements payants. Pour le moment, ce financement n’est pas suffisant pour que nous puissions engager un·e journaliste à temps plein. Cette situation est sur le point de changer, car nous lançons le 24 juillet une campagne de financement avec La Ruche visant, entre autres, à payer un·e journaliste temps plein pendant quelques mois afin de mettre en place notre système d’abonnement qui permettra, à terme, de payer des journalistes dans plusieurs régions du Canada. Notre ambition demeure de développer un écosystème médiatique avec une plus grande diversité de contenu et de moyens de diffusion dans le but d’augmenter et de diversifier notre audience. Nous prévoyons également lancer un podcast, produire un long-métrage documentaire, lancer un journal papier, et plus encore. 

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