Jeux vidéos engagés
Un facteur de changement social
Malgré certains préjugés qui circulent encore chez les non-joueurs, les jeux vidéo sont des objets culturels diversifiés et complexes qui se sont imposés dans notre société. Comme les films, les livres ou les émissions de télévision, ils véhiculent des messages, des valeurs, des visions du monde, etc.
Les jeux vidéo sont des représentations produites par la société, mais sont également producteurs de notre monde. En tant que vecteurs de discours, ils jouent un rôle important dans l’espace public et, comme n’importe quel discours, ils peuvent avoir des visées précises et déployer des stratégies rhétoriques afin de convaincre de la justesse de leurs messages. Comme les rhétoriques cinématographiques, publicitaires ou langagières (celles utilisées par les politicien·ne·s, par exemple), les jeux vidéo peuvent employer le même genre de stratégies et de techniques de persuasion élaborées depuis plus de 2000 ans.
Or, comparés à d’autres productions culturelles, les jeux vidéo présentent une caractéristique particulière : ils sont basés sur la prise de décision et l’action des récepteurs. Au lieu d’être simplement spectateurs, les joueurs « performent » le discours dans leurs actions. Leurs gestes, motivés par une série de prises de décision, visent l’atteinte d’un objectif, aussi minimal ou flou soit-il. En effet, tout jeu présente des règles qui structurent le sens de l’activité : même le jeu improvisé des enfants répond à des règles (celle d’imiter un pompier, par exemple). Une marche à suivre, c’est-à-dire une procédure, organise le jeu vidéo à travers ses règles et le langage de programmation, mais laisse également une nécessaire marge de liberté au joueur. Pour cette raison, nous parlons de rhétorique « procédurale » pour définir cette forme de structuration du discours qui vise à atteindre un certain résultat grâce à une manière d’agir spécifique, une procédure. Ce type de rhétorique est d’autant plus convaincant qu’il « fait agir » : la pleine prise de conscience de l’ensemble des messages n’est pas nécessaire pour performer les actions et, ainsi, performer le message.
Réceptivité et engagement
Par ailleurs, décidant volontairement de jouer, la joueuse ou le joueur est plus réceptif au message : ce n’est pas le message qui vient vers lui, mais lui-même qui va vers le jeu et prend la décision de le poursuivre. Dans le contexte de l’usage du jeu vidéo en publicité, la méfiance du joueur est alors moindre, car il se sent « libre » d’aller vers le jeu, ce qui soulève de sérieux enjeux. Toutefois, il en va de même dans un jeu vidéo présentant un message engagé socialement où le joueur, libre de choisir ce jeu, présente déjà une certaine ouverture.
Cette réceptivité du joueur s’arrime à une autre force des jeux vidéo : ils attirent l’attention, possiblement pour un long laps de temps. À l’heure où nous sommes bombardés de messages publicitaires, informés de courtes nouvelles en temps réel et sollicités par diverses technologies informatiques de communication, les jeux vidéo paraissent un moyen privilégié de communiquer avec les destinataires. Captés par l’activité et prenant sans cesse de petites décisions en jeu, les joueuses et joueurs peuvent alors être plus réceptifs aux messages en étant motivés à jouer. Les jeux sont motivants, car ils sont basés sur des gratifications fréquentes et permettent l’expression de la création, la collaboration, la compétition, le défi personnel, etc. Cette motivation devient le moteur de la pratique vidéoludique.
Ainsi, en captant l’attention, en motivant et en structurant le discours en partie sous forme de rhétorique procédurale, les jeux vidéo peuvent « persuader » – pour le pire, mais aussi pour le meilleur. Si on peut déplorer des messages véhiculés dans certains jeux vidéo ou l’utilisation du jeu en publicité, nous pouvons également penser à tous ces jeux vidéo à vocation sociale, les jeux expressifs, journalistiques, de conscientisation, etc. Abordant tous les sujets, sous des formes ludiques très diverses, ces jeux vidéo engagés peuvent éveiller les joueuses et joueurs à des sujets importants et participer à une prise de conscience (par exemple, la guerre [September 12th] ou l’exploitation pétrolière [Fort McMoney]) ; susciter l’empathie et une meilleure compréhension de la réalité des autres (comme la maladie infantile [That Dragon, cancer] et l’inceste [Keys of a Gamespace]) ; et même faire changer des comportements (comme diminuer la consommation de pétrole [World Without Oil] ou arrêter de fumer [Smokitten]).
Loin d’être « puérils », « chronophages » ou « superficiels », ces jeux vidéo engagés peuvent participer à l’effort collectif de rendre notre monde meilleur alors que nous ne faisons que commencer à réaliser leur pouvoir en tant que facteur de changement social.