Féminisme
Non à la culture du viol !
La culture du viol se porte bien au Québec et au Canada. Malgré un premier ministre fédéral qui se dit féministe. Malgré « l’égalité entre les hommes et les femmes » comme valeur fondamentale de la société québécoise.
Les incidents survenus dans plusieurs initiations étudiantes cet automne ; les agressions sexuelles à l’encontre de femmes vivant dans une résidence de l’Université Laval ; la dénonciation des agissements de certains prédateurs sexuels, dont le député libéral Gerry Sklavounos ; le tout un peu plus de deux ans après les accusations lancées à l’encontre de l’animateur Jian Ghomeshi et le mouvement #AgressionNonDénoncée qui s’en est suivi, tout cela le démontre. Pourquoi en sommes-nous encore là ?
S’il y a lieu de se réjouir de la mobilisation contre les agressions sexuelles à l’Université Laval et du mouvement de protestation et de libération de la parole qui en a résulté, il n’en demeure pas moins que l’impact des agressions sexuelles sur les femmes qui les vivent est souvent minimisé, que le crime est difficilement punissable dans la logique de notre système judiciaire où c’est la crédibilité de la victime qui tient trop souvent lieu de preuve et que l’on a tendance à passer sous silence que ces agressions sont le fait d’hommes et que celles qui les subissent sont très majoritairement des femmes. Bref, qu’elles s’inscrivent dans la logique de la domination masculine dans notre société.
L’exemple vient de haut. Comment oublier les frasques d’un Dominique Strauss-Kahn, alors patron du Fonds monétaire international, parlant de « parties fines » et invoquant sa liberté sexuelle ? Comment oublier les déclarations d’un Donald Trump, aujourd’hui président des États-Unis, clamant que richesse et pouvoir donnent automatiquement aux hommes un accès sexuel aux femmes, selon le bon plaisir des hommes en question ?
Ajouter l’insulte à l’injure
En ce qui concerne les agressions dans les résidences de l’Université Laval, le moins qu’on puisse dire c’est que la réaction des autorités universitaires fut totalement insatisfaisante. Dans un premier temps, celles-ci n’ont rien trouvé de mieux à faire que de demander aux locataires des résidences de fermer leur porte à clé, faisant écho au commentaire d’un juge albertain dans un cas de viol lorsqu’il avait demandé à la plaignante pourquoi elle n’avait pas serré les jambes lors de l’agression. Qui plus est, ils ont continuellement nié la nature sexuelle et sexuée des évènements, utilisant le terme épicène de victimes pour parler des femmes agressées et évitant de mentionner le caractère sexuel de l’agression. En outre, le recteur n’a pas jugé les évènements suffisamment graves pour annuler sa présence au match de football entre l’équipe de l’Université Laval et celle de l’Université de Montréal au CEPSUM.
Pourtant, lorsque des étudiantes ont voulu déployer une banderole dénonçant la culture du viol, les autorités universitaires se sont empressées de la faire enlever, prétextant des risques d’incendie. De plus, alors qu’un professeur avait appelé publiquement à une vigile devant les résidences, la direction de l’université a immédiatement appelé à la même vigile, sans mentionner la première initiative, et faisant en sorte qu’un rassemblement de solidarité et de libération de la parole se transforme partiellement en défilé d’autorités universitaires et de personnalités politiques dont la plupart n’avaient rien à voir avec la dénonciation de la culture du viol.
Trop peu, trop tard
Le 28 octobre, le gouvernement annonçait en toute hâte une politique de lutte contre les agressions sexuelles qui ne concernait que marginalement les agressions sexuelles à l’encontre des femmes et mêlait dans la même politique lutte contre l’homophobie, la lesbophobie et la transphobie, lutte contre l’exploitation sexuelle et, plus largement, lutte contre les agressions à l’encontre des femmes. Loin de moi l’idée de minimiser l’ampleur des autres enjeux, mais il aurait été de mise de traiter spécifiquement des agressions sexuelles.
On peut se réjouir du retour des cours d’éducation sexuelle dans les écoles, ce qui permettra d’éviter que la pornographie soit le principal outil d’initiation à la sexualité d’une majorité de jeunes, et de campagnes publiques de sensibilisation à l’agression sexuelle, de même que de certaines techniques de facilitation de la comparution des victimes dans les procédures judiciaires. Il n’en reste pas moins que ni les faibles moyens annoncés ni la formation des divers personnels appelés à intervenir auprès des femmes agressées (84 % des victimes d’agression sexuelle sont des femmes, 96 % des agresseurs sont des hommes, selon le document gouvernemental [1]) ne permettent d’envisager une transformation substantielle de la situation.
D’abord, une grande partie de la prévention et de la sensibilisation reposera, de facto, sur les organismes communautaires qui sont déjà débordés et trop peu financés. Cela s’inscrit dans la stratégie générale de ce gouvernement de renvoyer au communautaire tout ce qui n’est pas rentable dans le domaine des services sociaux, en se gardant bien de lui donner les moyens suffisants pour réaliser le travail et surtout en ne reconnaissant pas la spécificité de ses méthodes d’intervention (par et pour les personnes, en concevant celles-ci dans leur intégralité et en ne les réduisant pas à des « problèmes »).
Ensuite, l’expertise développée au cours des années par les groupes de femmes et les chercheuses universitaires féministes travaillant sur la violence sexuelle et sexuée est passée sous silence. On fera d’autres études, on confiera à la police ou à l’appareil judiciaire (qui regorgent déjà de personnes prêtes à considérer qu’il peut y avoir des viols sans violence) le soin d’établir des statistiques, quand on sait que seulement 5 % des agressions sexuelles sont dénoncées (toujours selon le document gouvernemental).
Enfin, le document gouvernemental reconnaît que les politiques existantes dans les institutions d’enseignement, élaborées à la fin des années 1980, sont souvent vétustes et inefficaces. Peut-on réellement compter sur la haute administration de l’Université Laval, qui a fait preuve d’un tel manque d’empathie et de compassion envers les étudiantes agressées, pour élaborer une nouvelle politique ? Peut-on vraiment faire confiance aux administrations universitaires et collégiales dans ce domaine alors que celles-ci n’ont de cesse de se distancier de la communauté universitaire ou collégiale ?
En outre, le caractère particulier du crime d’agression sexuelle devrait nous amener à nous interroger sur les mécanismes les plus appropriés pour son traitement. Dans la plupart des cas, les agressées connaissent personnellement leur agresseur. Dans tous les cas, les agressées sont atteintes au plus intime d’elles-mêmes, physiquement et moralement. Comment faire en sorte qu’elles ne soient pas astreintes à une exhibition publique de leur vie privée ? Il y a également la fameuse question du consentement qui place les femmes agressées en posture de victime et leur interdit toute forme de subjectivité, pour devenir la « victime idéale ».
Bref, nous avons certes besoin d’une politique en la matière, mais nous avons surtout besoin d’un débat public et d’un engagement gouvernemental (financier et politique), car on ne peut que constater que, dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’égalité entre les femmes et les hommes est encore loin d’être atteinte au Québec.
[1] Secrétariat à la Condition féminine, « Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles 2016-2021 », Gouvernement du Québec, octobre 2016. Disponible en ligne.