Environnement
Une coalition à la défense du fjord
La résistance s’organise au Saguenay pour protéger le fjord contre trois projets industriels qui menacent cet écosystème fragile. À bâbord ! s’est entretenu avec Adrien Guibert-Bartez, co-porte-parole de la Coalition Fjord, le regroupement qui coordonne les mobilisations. Propos recueillis par Valérie Beauchamp.
À bâbord ! : Qu’est-ce que la Coalition Fjord ?
Adrien Guibert-Bartez : C’est un collectif citoyen qui a été formé en novembre 2018 et qui s’est donné pour mission la protection du fjord du Saguenay. Nous insistons surtout sur trois aspects dans nos revendications. Le premier est d’exiger des études d’impacts globales et complètes sur les projets industriels projetés dans le fjord. Pour nous, ce type d’étude est nécessaire pour arriver à une acceptabilité sociale, car les citoyen·ne·s ne peuvent prendre des décisions éclairées sans avoir accès à une information complète et transparente. Le second aspect vise à éduquer la population sur les impacts environnementaux des projets industriels sur le fjord. Enfin, nous souhaitons susciter une réflexion plus large sur les gaz à effet de serre et sur la crise climatique.
ÀB ! : Pouvez-vous nous décrire les projets industriels prévus dans le Fjord ?
A. G.-B. : À la base, on se mobilise en réaction à trois grands projets industriels, le plus important étant Énergie Saguenay. Les deux autres projets sont des mines, soit le projet d’Arianne Phosphate au lac à Paul et celui de Métaux BlackRock, situé à Chibougamau.
Le cas d’Énergie Saguenay est très complexe, car il est scindé en plusieurs projets qui portent des noms différents et qui appartiennent à des propriétaires américains. Les trois principaux volets sont un gazoduc qui transportera du gaz naturel extrait par fracturation hydraulique dans l’Ouest canadien jusqu’au Saguenay. Il est aussi envisagé de construire une usine de liquéfaction de ce gaz dans la région pour ensuite l’exporter sur les marchés internationaux. Un terminal maritime devra donc être aménagé pour rendre possible cette exportation en ouvrant le fjord au passage de paquebots méthaniers d’envergure. Ce port méthanier ne respecte pas les propres politiques de l’industrie, qui ne recommande pas de transporter du gaz liquéfié dans des corridors longs, étroits et à l’intérieur des terres, ce qui est exactement le cas du fjord. Ces différents volets sont présentement évalués par les instances gouvernementales responsables de telles approbations.
Le projet Arianne Phosphate comprend deux sous-projets interreliés, soit la mine d’apatite à ciel ouvert en tant que telle, près du lac à Paul, à 200 km au nord de Saguenay, et la construction d’un port sur la rive nord de la rivière Saguenay pour exporter le minerai extrait. Sachant qu’il existe déjà un port sur la rive sud qui est actuellement utilisé à 20% de sa capacité, nous nous expliquons mal l’approbation du gouvernement pour cette portion du projet de la minière. La compagnie a en effet reçu toutes les autorisations gouvernementales, mais le projet n’est pas lancé, car il n’est toujours pas certain que la mine soit viable économiquement. Arianne Phosphate n’a toujours pas d’acheteurs pour son minerai, car son prix est trop élevé comparativement à celui du marché mondial.
Métaux BlackRock a quant à elle reçu les autorisations environnementales pour l’implantation d’une mine à Chibougamau et pour la construction d’une usine de transformation des métaux à Saguenay. Ici aussi le projet a été scindé en plusieurs parties et les consultations ne sont pas encore terminées concernant la construction d’un gazoduc devant servir à alimenter cette usine. La Coalition Fjord a d’ailleurs participé aux consultations sur ce volet du projet qui ont eu lieu au mois de juillet et août.
ÀB ! : Quels sont les impacts environnementaux de ces projets ?
A. G.-B. : Pour le projet d’Énergie Saguenay, nous voyons deux principaux risques pour l’environnement qui, à eux seuls, devraient suffire à faire annuler ce projet. Le premier est lié à la production de GES. Si nous nous basons sur un scénario conservateur de fuite de gaz dans le pipeline de 1%, nous arrivons à un total de 46 millions de tonnes de GES qui seraient produits par cette industrie, ce qui équivaut à 60% de la production annuelle de GES du Québec. Pour le Canada, la production totale de GES associée à ce projet équivaudrait aux réductions réalisées par le Québec depuis les années 1990. Le deuxième risque concerne l’impact direct de ces trois projets sur l’ensemble des espèces vivant dans le fjord, notamment les bélugas. On estime que, uniquement pour Énergie Saguenay, le transport du gaz liquéfié conduirait au passage de six à huit mégapaquebots par semaine dans le fjord. Plus on ajoute de trafic sur cette voie fluviale, plus on ajoute du bruit et plus les risques d’impact augmentent, ce qui n’a aucun sens, car le gouvernement canadien est censé protéger ces espèces menacées d’extinction. Au mois de juin, 150 scientifiques de partout au Canada ont d’ailleurs signé une lettre dénonçant les impacts environnementaux d’Énergie Saguenay.
Il faut aussi prendre en considération les impacts sociaux et économiques de ces projets. L’économie de la région est grandement axée sur le tourisme en lien avec le fjord et la présence de nombreuses espèces de mammifères marins. Il s’agit d’une économie permanente, locale et durable dont plusieurs villages tels que Tadoussac ou L’Anse-Saint-Jean sont dépendants. Ces industries menacent directement cette partie importante de l’économie régionale.
ÀB ! : En lien avec les études d’impacts environnementaux pour ces projets, que demandez-vous exactement ?
A. G.-B. : Pour le projet Énergie Saguenay Gazoduc, nous voudrions qu’il y ait une étude qui prenne en considération l’extraction du gaz en Alberta, le transport en pipeline, le transport maritime et la consommation de ce gaz dans les divers marchés mondiaux. En ce moment, il n’existe pas d’études globales, mais deux études séparées sur le gazoduc et l’usine de liquéfaction du gaz. On ne connaît pas les impacts de la fracturation dans l’Ouest canadien ni du transport maritime du gaz et de sa consommation en Europe ou en Asie. Les promoteurs du projet Énergie Saguenay affirment qu’ils ont déjà calculé les émissions de GES qui seront produites, mais cela est faux, car leur analyse du transport maritime ne prend en compte que les environs du port. La consommation dans les marchés étrangers n’est pas non plus prise en compte dans leur calcul. De plus, ils ont évalué les risques de fuite du gazoduc tout au long du trajet de l’Ouest canadien au Saguenay à 0,34%, alors que l’industrie utilise généralement des taux de fuites autour de 1 à 4% dans ses prévisions.
Sinon, de manière plus globale, on demande une étude qui prendra en compte l’effet combiné de ces trois projets sur le trafic maritime. En effet, ces industries utiliseront le fjord pour transporter minerais et gaz, mais il n’y a pas d’études qui ont été réalisées pour en comprendre l’effet cumulatif. À lui seul, le projet de port minier d’Arianne Phosphate devrait entraîner une augmentation de 60% du trafic maritime et on estime que les trois projets combinés entraîneront une augmentation de 180% de la circulation dans le fjord du Saguenay. Il est évident que cela aura un effet néfaste important sur l’ensemble de l’écosystème.
ÀB ! : Quels sont les prochaines étapes de vos mobilisations ?
A. G.-B. : En juin 2019, nous avons organisé une manifestation à Tadoussac pour la protection du fjord qui nous a valu une certaine couverture médiatique. Nous avons aussi pris part aux mobilisations entourant les manifestations du 27 septembre. Pour la suite, nous voulons continuer à mobiliser la population à travers le Québec et faire de l’éducation populaire. Les membres de la Coalition Fjord font présentement de nombreux déplacements dans la province pour faire connaître ces enjeux. Nous voulons aussi mettre sur pied des rencontres nationales entre différents collectifs tels qu’Eau-Secours et La planète s’invite à l’université. Les associations étudiantes de la région sont fortement mobilisées. Dans tous les cas, il est certain qu’il nous reste quelques années de travail et de mobilisations citoyennes pour la protection de l’environnement.