Forums citoyens sur l’éducation
Parlons… de cette école qui n’est plus possible
Le 26 janvier dernier, Bernard Drainville énonçait le « plan de match » de son mandat au ministère de l’Éducation, un énoncé en sept points, dont le contenu, les mesures et l’échéancier se font toujours attendre, trois mois plus tard. Pendant ce temps, les travers du système d’éducation ne leurrent plus personne et des centaines de citoyens et citoyennes se réunissent pour jeter les bases de l’école de demain.
Bien mince, la recette du ministre Drainville a été accueillie avec beaucoup de scepticisme tant elle sent le réchauffé et traduit une nouvelle fois le manque de vision désarmant d’un gouvernement qui a pourtant voulu faire de l’éducation non seulement sa marque de commerce, mais « la priorité des priorités ».
Une institution à la croisée des chemins
Malgré l’obsession gouvernementale envers le rendement et la compétitivité face à l’Ontario de ce qui est devenu un système de production scolaire, l’école québécoise demeure happée par des défis autrement plus importants qui manifestement dorment dans l’angle mort de l’idéologie caquiste. Le travail croissant des jeunes du secondaire face à l’augmentation des taux de décrochage, les contrecoups pandémiques à la persévérance scolaire, le surdiagnostic de troubles d’attention divers, l’exacerbation de la ségrégation scolaire, les violences physiques et sexuelles dans les murs des écoles, l’état des infrastructures, de la ventilation et des entrées d’eau, les difficultés persistantes à attirer et retenir du personnel enseignant, professionnel, de soutien, ou dans les services de garde, et tutti quanti, continuent de défrayer la manchette, de préoccuper les parents et les communautés et de rogner la capacité de l’école publique à remplir sa mission. On ne se demande même plus si le « redressement national » proclamé par le chef de la CAQ lors de son arrivée au pouvoir en octobre 2018 aura finalement lieu…
Par ailleurs, outre la production tous azimut de capital humain, on ne sait toujours pas de quel projet de société ce redressement doit être porteur. Pourtant, il ne fait plus de doute que le péril climatique, la transformation radicale de la société par le numérique, la hausse des inégalités sociales, l’effritement des institutions démocratiques attendent au détour les jeunes et prochaines générations, et l’école aurait dès à présent pour difficile tâche de les armer et les préparer à y faire face.
Que notre système éducatif soit arrivé à la croisée des chemins, tout le monde en convient désormais… sauf le gouvernement. Les défis de notre système scolaire sont archiconnus, documentés et débattus. Le besoin de formuler des solutions cohérentes, réalistes et structurantes se fait plus que jamais urgent. On ne compte plus, depuis une quinzaine d’années, les manifestes, les essais, les coalitions et les appels de tout acabit à mener un nouvel examen de conscience collectif et à entreprendre les chantiers de rénovation ou à donner un nouveau coup de barre, bref, à réaffirmer un leadership en tant que société et à faire de l’éducation une véritable priorité nationale et un levier d’émancipation. Le Québec en serait-il pour autant arrivé à l’aube d’une nouvelle révolution scolaire ?
Certainement est-il à la recherche d’un nouvel élan, d’une nouvelle inspiration…
Des forums citoyens pour parler d’éducation
Réclamés depuis plusieurs années par les membres de groupes citoyens et plusieurs observateurs et experts, l’hypothèse d’une édition 2.0 des états généraux sur l’éducation ou de la commission Parent a été d’emblée écartée par le premier ministre en 2019. Une position réitérée à Tout le monde en parle par le ministre de l’Éducation Bernard Drainville, qui a préféré se placer en homme pragmatique décidé à passer à l’action plutôt qu’à discuter avec la population. Malheureusement, après 6 mois au conseil des ministres, l’homme d’action ne s’est à peu près contenté que de griffonner sur un napperon un programme de priorités en 7 points dont on finit par comprendre que les moyens et le déploiement se passeront de détails et de consultations. Dans les milieux, l’action se fait effectivement encore attendre. Quant à savoir vers quelle destination le ministre compte mener sa barque…
En attendant, le vide propositionnel du gouvernement a de quoi donner raison aux multiples groupes de la société civile et d’organismes citoyens qui ont décidé d’organiser et de tenir à bout de bras cette grande discussion sur l’éducation réclamée depuis quelques années. Forts du succès de l’ouvrage collectif Une autre école est possible et nécessaire, le collectif Debout pour l’école ! s’est associé à École ensemble, Je protège mon école publique (JPMÉP) et le Mouvement pour une école moderne et ouverte afin de tenir, avec le soutien d’une vingtaine de partenaires de la société civile, pas moins de 19 forums de discussion au cours du printemps à travers toutes les régions du Québec. Lancés le 10 mars dernier à Montréal, les forums citoyens Parlons éducation ont déjà rejoint des centaines de personnes, jeunes et adultes, de tous les horizons, autour de discussions riches et variées pour nommer les maux de notre système scolaire et en imaginer les remèdes. D’après les organisateurs, plus de 3 000 inscriptions sont déjà enregistrées autour de ces événements régionaux qui se poursuivront jusqu’en juin prochain, et auxquels s’ajoutent les contributions de nombreux·euses jeunes incité·es à participer sur leurs propres bases grâce au volet jeunesse du projet.
Sans complaisance, les ateliers de discussion des forums citoyens convient la population à poser un regard critique, franc et constructif sur l’école actuelle. Ils interrogent les valeurs, les contenus et les savoirs que l’école devrait viser à transmettre et à cultiver pour permettre aux jeunes et adultes du Québec de constituer une société autonome, libre et éclairée à l’heure des changements climatiques et de la crise démocratique. On y discute également de la capacité concrète et les moyens à la disposition de l’institution pour assurer l’égalité des chances au regard de la grande diversité des besoins, défis et bagages culturels, sociaux, économiques et cognitifs qui caractérisent aujourd’hui les rangs scolaires. Les forums examinent l’état des conditions de travail et d’exercice de toutes les catégories de personnel et la fragilisation de leur lien avec la réussite et le bien-être des élèves, alors que les difficultés de recrutement et de rétention dépassent la simple conséquence de la transition démographique et se révèlent plutôt le symptôme d’un mal profond dans l’organisation de l’école elle-même. D’ailleurs, ce malaise systémique n’est pas étranger à la compétition sans répit que se livrent les établissements au sein du réseau scolaire depuis des décennies avec le soutien financier de l’État. Un ver dans la pomme que les gouvernements s’obstinent à ignorer, mais que les ateliers de Parlons éducation abordent de front. Quant à la gouvernance et à la démocratie scolaires, le faux-semblant de décentralisation et le remplacement de structures électives au profit d’une culture d’opacité sont débattus à la lumière de notre capacité collective à pouvoir encore exercer une influence et un contrôle sur le devenir de cette précieuse institution.
Rêver ensemble
Tous ces enjeux sont fondamentaux et requièrent une attention sérieuse et des actions urgentes de la part de notre société. Cependant, on peut espérer que le fruit de cet important exercice de délibération aide certes à résoudre chacun de ces défis particuliers, mais surtout qu’il permette de définir les fondements et les contours d’un nouveau projet d’école pour le XXIe siècle. Les forums Parlons éducation doivent nous pousser à imaginer une éducation nouvelle qui puisse nous donner la capacité collective de répondre aux défis historiques qui nous attendent, et de nous réinventer comme société par la même occasion. L’heure est certainement à la réappropriation de ce qui compte parmi les plus puissants leviers de contrôle de notre destinée collective. Saisissons cette opportunité.