Réussite en enseignement supérieur. Quand les solutions sont les véritables problèmes

No 090 - décembre 2021

Éducation

Réussite en enseignement supérieur. Quand les solutions sont les véritables problèmes

Steve Mckay

Le nouveau plan du gouvernement Legault pour les cégeps et les universités a de quoi inquiéter. Il propose un étrange portrait de la situation ainsi que des « solutions » douteuses : marchandisation de l’éducation, surveillance numérique des étudiant·e·s et intrusion dans la liberté pédagogique des enseignant·e·s.

En septembre dernier, Danielle McCann, ministre de l’Enseignement supérieur, dévoilait le Plan d’action sur la réussite en enseignement supérieur. Ce document est la réponse du gouvernement Legault au Chantier sur le même thème, auquel ont été convié·e·s des acteur·rice·s des secteurs collégial et universitaire en février 2021. Environ 450 millions de dollars seront dédiés à la réalisation du plan d’action d’ici 2026.

Le plan s’ouvre sur un portrait plutôt sombre de la réussite dans les cégeps et les universités. Le taux de diplomation stagne et demeure inférieur à celui observé ailleurs, notamment en Ontario. La situation est particulièrement préoccupante pour les étudiants masculins qui réussissent moins bien et décrochent davantage.

Sans être totalement inexact, cet état de la situation manque de nuance et s’appuie sur des analyses parfois bancales. En proposant un diagnostic imprécis, voire erroné, le risque est de mettre œuvre des stratégies inefficaces, ou pire encore, néfastes.

Un autre exemple du manque de nuance concerne le taux de diplomation au collégial. On peut lire qu’il se situe à 64 % « deux ans après la durée prévue du programme initial menant au DEC ». Cela peut paraître préoccupant. En fait, cette mesure n’est pas particulièrement éclairante lorsqu’on connaît la réalité collégiale. De plus en plus d’étudiant·e·s prolongent leur parcours pour réaliser une meilleure conciliation famille-loisir-travail-études. Plusieurs changent également de programme d’études, souvent parce qu’ils et elles ont une meilleure idée de leurs véritables intérêts. Cinq ans après la première inscription au cégep, le portrait est beaucoup moins sombre : le taux de diplomation se situe autour de 75 %.

L’affirmation selon laquelle les premiers cours de philosophie et de français sont des « cours écueils » est également critiquable. D’abord, aucun critère de ce qu’est un « cours écueil » n’est proposé dans le plan. Pour le premier cours de philosophie, les données récentes indiquent un taux de réussite entre 78 % et 82 % au cours des trois dernières années (la session d’hiver 2018-2019 est l’exception avec un taux est 70 %). Est-il légitime de parler ici d’un « cours écueil » ?

Quelle réussite ?

La nécessité d’accroître la réussite en enseignement supérieur ne trouve pas uniquement son origine dans un engagement du gouvernement Legault pour le « développement » des étudiant·e·s « sur les plans professionnel, artistique, scientifique, culturel, civique et personnel  », pour reprendre la définition de la réussite offerte dès la première page du plan. En fait, en poursuivant la lecture, on réalise rapidement que ce sont des considérations économiques qui servent à définir la réussite et qui motivent l’empressement du gouvernement à mettre en œuvre son plan. Il y a urgence, dit-on, car le manque de main-d’œuvre qualifiée plombera la croissance économique du Québec. L’étudiant·e aura réussi son parcours scolaire si elle ou il comble la demande pour des emplois dans les domaines « d’avenir » – pensons ici à l’informatique et à l’ingénierie, ou aux domaines qui font face à de graves pénuries, comme la santé. Les universités et les cégeps seraient actuellement « sous-performants », car ils ne produisent pas suffisamment de diplômé·e·s pour satisfaire les besoins en main-d’œuvre.

Définir la réussite de l’étudiant·e et de l’enseignement supérieur de la sorte soulève plusieurs questions. Le fait de se coller aussi étroitement aux demandes changeantes du marché de l’emploi impose des contraintes idéologiques, disciplinaires et matérielles qui peuvent sérieusement nuire à la recherche, à la création et à la critique, trois fonctions fondamentales de l’enseignement supérieur. Alors qu’il s’avère urgent de reconsidérer la poursuite effrénée de la croissance économique à la lumière des défis environnementaux, les cégeps et les universités ne doivent pas répondre passivement et sans regard critique aux diktats du marché.

Il va de soi que la formation de travailleur·euse·s est l’une des fonctions des cégeps et des universités : les étudiant·e·s suivent des formations pour obtenir des connaissances et des compétences afin, notamment, de trouver un travail dans lequel elles et ils pourront se réaliser. Leur bagage scolaire devrait toutefois leur offrir la polyvalence nécessaire pour explorer différentes avenues au cours de leur carrière, et aussi pour bénéficier d’une relative indépendance face aux employeur·euse·s. On voit aisément que l’intérêt des étudiant·e·s et celui des employeur·euse·s ne sont pas toujours convergents. Sur ce point, il semble que le ministère, les cégeps et les universités devraient s’assurer de protéger les intérêts des étudiant·e·s avant ceux des entreprises.

Surprises et inquiétudes

Le plan d’action identifie quatre « axes d’intervention » qui se déclinent ensuite en dix-neuf « mesures ». Certaines suggestions proposées par le ministère nous laissent perplexes ou s’avèrent même inquiétantes, alors que des mesures évidentes ne sont même pas envisagées. 

Le ministère souhaite notamment faciliter l’accès à l’enseignement supérieur, mais il reconnaît que les coûts peuvent être une barrière pour des étudiant·e·s. Pour réduire cet obstacle, le plan propose de « démystifier les programmes d’aide financière étudiante (AFE) et, plus largement, l’endettement étudiant  ». Il est aussi question de combler les «  lacunes en matière de littératie financière » des étudiant·e·s afin qu’ils et elles surmontent leur «  aversion à l’endettement », puisqu’une la dette étudiante devrait plutôt être considérée comme un investissement ayant un potentiel en gains élevé pour l’étudiant·e. Mais veut-on vraiment encourager une telle perspective, alors qu’on sait qu’elle transforme négativement le rapport entre les étudiant·e·s et les enseignant·e·s et qu’elle intensifie la marchandisation de l’éducation ? Si les coûts sont un frein à l’accessibilité, pourquoi ne pas les diminuer en réduisant ou en abolissant les frais de scolarité ?

Une autre mesure du plan propose de « soutenir l’acquisition des compétences essentielles à la poursuite des études  ». Cette stratégie aura un impact positif si l’acquisition des compétences véritablement essentielles est priorisée. Il est donc surprenant qu’on accorde autant d’importance à la « compétence numérique » et aux « compétences informationnelles » dans le contexte. Pour ceux et celles qui œuvrent dans les cégeps et les universités, ce sont plutôt les compétences langagières et méthodologiques qui doivent être soutenues en priorité : elles sont les fondations de toutes les autres compétences.

Par ailleurs, le ministère semble fonder beaucoup d’espoirs sur les solutions technologiques pour accroître la persévérance et la réussite. Il suggère notamment « de suivre en temps réel  » la progression des étudiant·e·s dans leur projet d’études et d’amasser des données sur leur « présence aux cours, […] la nature de leur participation [et] leur degré de réceptivité ». Toutes ces informations alimenteront des travaux visant la création d’une « application d’intelligence artificielle » et d’un « algorithme prédictif ». Or, jusqu’à présent, les promesses de l’intelligence artificielle en éducation se sont souvent transformées en dispendieux mirages. On ne doit pas non plus minimiser les risques de dérives associés à de tels dispositifs de surveillance.

Liberté pédagogique

Le personnel enseignant n’est pas oublié dans le plan. De toute évidence, le ministère croit que l’expertise pédagogique des enseignant·e·s, des chargé·e·s de cours et des professeur·e·s doit être bonifiée. On les invite à se perfectionner pour « rehausser [leurs] compétences numériques  » et « déployer […] des approches pédagogiques inclusives  » ainsi que des « méthodes d’apprentissage actif  ». Pour les aider, des ressources professionnelles supplémentaires seront embauchées.

Personne ne s’opposera au perfectionnement, mais encore faut-il les conditions pour ce faire – notamment le temps. Or, tous et toutes s’entendent pour reconnaître que la charge de travail s’est accrue considérablement au fil des années. Dans bien des cas, le personnel enseignant n’a tout simplement pas la possibilité de mettre en œuvre certaines méthodes pédagogiques qu’il juge profitables, en raison d’un trop grand nombre d’étudiant·e·s dans leurs classes.

Notons, finalement, que la liberté académique et pédagogique est un principe constitutif de l’enseignement supérieur et que certaines mesures proposées s’y opposent. C’est le cas, par exemple, lorsqu’on préconise fortement certaines approches pédagogiques particulières.

Au cours de son premier mandat, le gouvernement Legault n’a pas fait de l’enseignement supérieur une de ses priorités. Il y a bien eu un réinvestissement bienvenu dans les cégeps et les universités après des années d’austérité, le retour d’un ministère dédié à l’enseignement supérieur et un engagement, quoique teinté d’électoralisme, en faveur de la liberté académique. On attendait toujours de connaître la vision du gouvernement. Avec le Plan d’action sur la réussite en enseignement supérieur, on sait maintenant à quelle enseigne le gouvernement loge et on peut légitimement être inquiet pour l’avenir des cégeps et des universités. 

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