Frères insoumis

No 090 - décembre 2021

Claude Vaillancourt

Frères insoumis

Eve Martin Jalbert

Claude Vaillancourt, Frères insoumis, Druide, 2021, 400 pages.

On pourrait dire de notre camarade et ami, comme on l’a dit de Pierre Gélinas et de Jean-Jules Richard dont il est un digne successeur, qu’il est un romancier d’action. L’expression manquerait de justesse si elle sous-entendait qu’un récit d’actions suffisait à lui seul à nous mener dans l’action sociale et politique. Or, la formule reste juste sur ce plan : Frères insoumis est une sorte de roman social d’aventure.

Le récit est haletant ; la plume est simple, sobre, précise, claire, très claire (aucune ambiguïté ni incertitude) ; les personnages, dessinés au moyen de quelques traits, semblent des échantillons de milieux clairement indignés contre les injustices dont ils font les frais – ici : la conscription, l’exploitation socioéconomique et la répression des révoltes. Pas de motivations compliquées ni de connexions complexes agissant dans la zone de minuit de l’implication des frères Leblanc. En dépit de leurs différences — l’un est plus doué pour les choses de l’esprit —, ces jeunes hommes nés 

à Québec au tournant du siècle dernier ne sont pas des caricatures, mais ils n’en sont pas moins conformes à certains stéréotypes : bons fils de famille, pleins de fierté et d’ardeur, prêts à travailler fort, à se battre avec les poings, aspirant à se marier et à fonder une famille avec des femmes à la fois solides et douces. Ils semblent déjà prêts à être jetés dans l’aventure.

Dès les premières pages, les voilà au cœur des émeutes de 1918 contre la conscription. La peur d’être arrêtés les pousse bientôt à trouver refuge à Lowell, ville qu’ils quitteront bientôt en raison de déboires amoureux. Guidés vers le travail dans les mines de Virginie-Occidentale, ils se retrouvent en 1921 au milieu de l’insurrection du mont Blair. Adrien et Charles Leblanc, version gémellaire et engagée de Lorenzo Surprenant (Maria Chapdelaine), sont certes des êtres d’action. Mais l’action semble plus venir à eux qu’eux vont à elle : on cogne à la porte, l’émeute est là ; ils descendent en gare de Williamson, une grève historique les attend ; on leur donne un fusil pour prendre part aux confrontations avec la milice privée, les voilà aussitôt au cœur d’une des plus importantes insurrections armées des États-Unis.

Tout se passe comme si le véritable sujet de cette histoire, au fond, c’était l’Histoire elle-même. Synonyme d’adrénaline et d’aventures, l’Histoire ici est plus une occasion à saisir que ce qu’elle est souvent pour bien des militant·e·s comme Claude Vaillancourt : cet immense vaisseau aveugle dont on espère faire dévier le cours à force de persévérance et d’efforts combinés. Mais l’occasion à saisir semble surtout celle du romancier intéressé à raconter, avec le style quasi journalistique qu’on lui connaît, les événements d’un point de vue impliqué. On peut lui savoir gré de le faire. Je me suis laissé·e gagner par ce page turner et son parti pris de l’aventure.

Il m’a toutefois fallu tenter de faire abstraction — mais est-ce souhaitable ? — de la dimension androcentrée de la narration de cette insoumission au masculin, conforme en ce sens au biais hétéropatriarcal de la gauche traditionnelle — et pas seulement celle d’il y a un siècle — centrée sur les hommes comme acteurs principaux de l’action sociale et comme sujet de l’Histoire, soutenus par le travail reproductif secondarisé des épouses, des mères, des soignantes, des éducatrices. L’histoire n’a pas fini de nous faire tourner des pages.

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