Pourquoi les riches votent à gauche

No 076 - oct. / nov. 2018

Thomas Frank

Pourquoi les riches votent à gauche

Claude Vaillancourt

Thomas Frank, Pourquoi les riches votent à gauche, Paris, Agone, 2018, 424 pages.

Rarement un titre aura paru aussi trompeur. D’abord parce que la question n’est pas directement abordée dans le livre. Ensuite parce que les riches ne votent pas à gauche, ce qu’on peut d’ailleurs déduire dans les propos de l’auteur. L’éditeur français a sans aucun doute voulu faire écho à un autre livre très apprécié de Thomas Frank, dont le titre en français est Pourquoi les pauvres votent à droite ? Il faut se référer au titre anglais pour avoir une idée du contenu de son dernier ouvrage : Listen, Liberal : Or, What Ever Happened to the Party of the People ? Curieusement, ce titre originel n’est mentionné nulle part dans l’édition française !

Mais au-delà de cette maladresse, l’essai de Thomas Frank, qui porte sur les transformations du Parti démocrate aux États-Unis, reste d’une grande pertinence. Au moment où le livre a été écrit, cette formation semblait être devenue le parti naturel du pouvoir, puisque les changements démographiques réduisent la place de l’électorat blanc conservateur, cette base sur laquelle s’appuient les républicains. La victoire de Trump pourrait démentir ce propos. Mais dans une postface, Frank se justifie en affirmant que ce renversement a été produit par les politiques des démocrates qu’il dénonce vertement : le rapprochement avec Wall Street et leur appui à un libre-échange dévastateur pour les travailleurs et travailleuses des centres industriels.

Selon Frank, les années au pouvoir de Clinton et Obama ont éloigné le Parti démocrate de sa base. Il a cessé d’être le « parti du peuple  » pour devenir celui des professionnels, des experts, des technocrates, qui ont mis leurs grandes capacités au service des élites financières. Bill Clinton a transformé le pays en le soumettant à un néolibéralisme radical, tandis qu’Obama a gouverné avec un cercle d’individus tout droit sortis des universités de la Ivy Ligue et entièrement coupés des besoins de la population. Hilary Clinton, quant à elle, s’apprêtait à continuer sans fléchir dans cette voie élitiste.

L’un des passages les plus accomplis du livre est lorsque l’auteur s’intéresse à la notion d’« innovation ». Ce terme se retrouve partout dans le discours des puissants et sert de prétexte à d’immenses détournements d’argent en faveur des groupes plus favorisés, puisque ces derniers sont, comme par hasard, les plus grands innovateurs. L’auteur démontre cependant à quel point l’innovation a pu être catastrophique pour les populations, par des inventions toxiques comme les OGM, les subprimes, les swaps, l’espionnage massif, les sociétés comme Uber et la comptabilité « créative » permettant l’évasion fiscale. Et surtout, comme Frank l’affirme en maniant subtilement l’ironie : « pour excuser l’inégalité croissante et pour expliquer le statut élevé des riches, on n’a rien trouvé de mieux  ».

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