Dossier : Ouvrir l’école
Rêves d’école. La parole aux enfants !
Ce dossier parle de ce que l’école est devenue et de ce qu’elle pourrait être. Trop souvent, dans ces prises de paroles, nous oublions les élèves. Écoutons alors ceux et celles qui ont accepté de nous rencontrer, des filles et des garçons âgé·e·s de 7 à 11 ans.
Que changeraient en premier lieu les enfants dans leur école ? Un peu la même chose que les adultes qui s’impliquent de diverses façons pour l’améliorer : des arbres, de la verdure pour la cour, de la couleur pour les corridors. Le béton : « Quand tu tombes, en été ou en automne, quand il n’y a pas de la neige, ça fait vraiment mal. Dans le parc, quand tu tombes, ça ne fait pas mal. » La cour d’école est conçue pour jouer. Qu’en est-il du jeu lorsqu’on se préoccupe constamment de ne pas tomber ?
Toutefois, pour ces enfants, l’école comme milieu de vie signifie bien plus qu’un extérieur et un intérieur attrayant. C’est une école ouverte qui leur appartient, même après les heures de cours : « Quand l’école termine, j’aimerais qu’ils ne ferment pas l’école. S’il y a des gens qui veulent venir pour aller dans le gymnase ou au terrain de basket et que tu veux venir pour jouer avec tes amis, qu’ils nous laissent un moment après l’école. » Cette jeune fille nous rappelle que l’école devrait d’abord et avant tout être accessible aux enfants.
Des classes surpeuplées
Le manque d’espace dont ils et elles disposent revient souvent dans leurs discours. À les écouter parler, cela donne l’impression que ces enfants sont entassé·e·s dans des établissements surchargés : « On est beaucoup dans nos classes, c’est petit, pour au moins 20 personnes, je trouve ça serré. » Ce commentaire m’amène à les questionner sur le ratio professeur·e/élève et sur l’apprentissage. « Est-ce que c’est mieux plus de monde pour apprendre ou moins de monde pour apprendre ? » Unanimement, tous et toutes me répondent moins. Ces enfants sont tout à fait conscient·e·s que les enseignant·e·s ont trop d’enfants à leur charge. Ils et elles connaissent même le ratio décrété par le gouvernement dans une classe de primaire, soit de 25-26 élèves.
Dans plusieurs interventions, les enfants souligneront que les professeur·e·s n’ont pas le temps pour chacun et chacune, que la discipline prend beaucoup de place dans les heures de cours. « On aimerait ça être un peu moins, parce que dès fois tout le monde parle en même temps et on ne comprend rien pis les profs disent : “ Si on fait trop de discipline, on n’avancera pas ”. Pis là, on doit tous travailler et tout faire super rapidement. » Les enfants présents me racontent qu’ils et elles ressentent parfois ne pas avoir l’attention nécessaire pour comprendre les consignes. Comment en vouloir aux enseignant·e·s à l’égard de cette difficulté à créer un espace propice à l’apprentissage lorsqu’ils et elles ont à charge vingt-cinq élèves ? Ce qui s’exprime ici, c’est que toutes les personnes, adultes et enfants, sont pénalisées par ces classes surchargées.
Que pourrait-on faire pour améliorer cette relation de l’enseignant·e avec sa classe ? « Avoir deux profs. Parce que si on est plusieurs dans la classe, c’est difficile pour le prof. » C’est bien du ratio professeur·e·/élève dont il est question dans cette solution, bien que les adultes aient tendance à la reformuler par une diminution du nombre d’élèves par classe.
Le rapport au temps
Une autre idée qui a fait l’unanimité auprès du groupe, c’est l’opportunité de faire des siestes pendant la journée. Cette possibilité a suscité des rires, mais au-delà du caractère loufoque que représente la possibilité de dormir à l’école, ils et elles m’ont fait part de leur sentiment d’épuisement à la fin de la semaine. Ces enfants sont tous et toutes d’accord pour affirmer passer trop de temps à l’école et ont l’impression de ne jamais avoir le temps de respirer. Le groupe parle d’avoir plus de jours de vacances. Ils et elles me soulignent que, bien souvent, du fait de l’horaire des parents, les enfants sont obligé·e·s de se rendre à l’école même lors des journées pédagogiques, car il n’y a personne à la maison pour s’occuper d’eux et elles.
Ces élèves demandent un équilibre entre les différentes parties de la journée avec assez « de temps pour tout. Pour jouer, pour apprendre, pour relaxer. Dans mon école de rêve, on aurait plus de temps de récré, on aurait 20-30 minutes de sieste, on aurait 1h30-2h de chaque matière et on commencerait l’école un peu plus tard et on finirait un peu plus tôt. » Enfants et pourtant déjà si épuisé·e·s par les exigences de productivité des institutions. Sur ce point, qu’avons-nous à proposer, nous les adultes, qui sommes tout aussi stressé·e·s par le rythme effréné qu’on nous impose ? Ne dit-on pas que l’école est une préparation au travail ?
Autonomie et liberté
Et le travail, n’est-ce pas aussi le respect de la hiérarchie ? De fait, il n’existe pas d’occasion à l’école pour discuter des limites de certains comportements : « Des fois, on peut faire quelque chose qui est mal selon le prof, mais pour nous, ça peut être moins pire. » Par exemple, ils et elles m’expliquent que parler à sa voisine ne mérite pas d’être puni. Sur ce point, réduire drastiquement le ratio prof/élèves permettrait peut-être de laisser aller les discussions, lesquelles deviendraient alors des espaces d’apprentissage à la fois de notions scolaires, mais aussi de citoyenneté en amenant à former une opinion et à l’exprimer en groupe. Ce manque d’espace pour s’exprimer prend des allures grotesques lorsque ces enfants m’expliquent qu’ils et elles doivent choisir le jeu qui sera utilisé pour les récréations de toute la semaine. Cette absence de spontanéité est éloquente : « Ça serait bien que tu n’aies pas besoin de choisir ton jeu, mais d’aller où tu veux. Parce que c’est une récréation libre, c’est le temps libre qu’on a. » La privation de liberté dans les choix qui leur sont offerts, ils et elles le vivent constamment, jusque dans leur fête de fin d’année où les adultes décident de toute l’organisation.
Pour ces enfants, la liberté serait la possibilité d’être responsable d’eux et d’elles-mêmes sans avoir à solliciter l’accord des adultes. Ils et elles sont bien conscient·e·s que cela ne peut être valable pour tout, mais sur des points précis, ces enfants se sentent encadré·e·s au-delà de ce qui est nécessaire : « On devrait avoir le droit, pendant les cours, de sortir de la classe sans demander la permission. Si tu veux partir dans la piscine, tu as le droit. Avoir le droit de manger de la gomme pour nous aider à nous concentrer. Pis que tu aies le droit de manger en cours sans avoir à le demander. »
Ces enfants me parlent aussi de libre arbitre lorsque je leur demande de me décrire ce que veut dire la liberté : « Quand quelqu’un te demande quelque chose, tu n’es pas tellement obligé de le faire. Tu peux demander qu’ils te donnent plus de choix. On n’a pas le droit de faire ce qu’on veut, mais j’aimerais ça qu’on soit plus libre, qu’on puisse plus bouger quand on veut. Juste d’avoir le droit d’être debout même si le prof ne t’a pas demandé de te lever. » Bien entendu, il est encore une fois question de ratio. Dans des écoles bondées, il ne serait pas possible d’accéder à ces demandes sans tomber dans la cacophonie. Par contre, il est aussi question de faire confiance aux enfants dans leur capacité à être autonome.
Comme les adultes qui revendiquent une école plus adaptée aux enfants, ceux et celles qui étaient présent·e·s à cette entrevue demandent aussi un milieu de vie, certes plus attrayant d’un point de vue esthétique, mais aussi qui leur permet d’être des enfants. Des enfants qui ont le temps pour vivre à leur rythme. Un réel milieu de vie qui leur est ouvert et où ils et elles sont libres d’être.