Martin Petitclerc et Martin Roberge
Grève et paix : une histoire des lois spéciales au Québec
Martin Petitclerc et Martin Roberge, Grève et paix : une histoire des lois spéciales au Québec, Montréal, Lux, 2018, 275 pages.
J’attendais cet ouvrage depuis longtemps. J’ai écouté les auteurs en conférence à plusieurs reprises. J’ai pris des notes. Je me suis sentie éclairée. J’ai ressenti de la colère et de la stupeur. Puis là, le voilà ! Je l’ai ! Je l’ai consulté petit peu par petit peu. Je me suis ressouvenue de ce moment en 2005 où, militante syndicale, j’ai été assommée par une loi spéciale. À chaque fois que j’en parle, la colère et la stupeur s’emparent de moi. Chaque page de ce livre m’a enragé. Se faire imposer la paix, c’est violent. Depuis 1964, le Québec a été le terrain de jeu de pas moins de 42 projets de loi spéciale, apprend-on dans l’ouvrage. Juste ça, c’est stupéfiant ! Je n’ai toujours pas retrouvé la paix, mais je suis plus en mesure de prendre du recul devant le phénomène.
À la manière d’un travail d’anthropologue, les auteurs ont questionné des actrices et des acteurs clés des grands syndicats touché·e·s par l’imposition de lois spéciales. Ce qui fait que nous avons l’impression d’avoir accès à tous les points de vue. Mais franchement, j’en aurais voulu plus ! Ce procédé permet d’accéder à une histoire plus complète qui nous éloigne des récits parcellaires et parfois autoréférentiels des organisations syndicales distinctes. C’est un travail colossal et appréciable. Espérons qu’il rapprochera en vrai les organisations ! C’est une manière nouvelle d’entrer en contact avec la réalité. Il faut aussi apprécier à sa juste valeur le point de vue épistémologique des auteurs quant à la parole syndicale. Pour eux, les récits syndicaux sont d’une grande crédibilité, ce qui apaise ma colère.
Leur point de départ est celui de la spectaculaire loi spéciale qui a mis fin à la grève sociale des étudiantes et étudiants en 2012. Pour les auteurs, cette loi constitue un degré d’obscénité jamais égalé. Dorénavant, d’autres groupes que les syndicats seront menacés de lois spéciales. Le caractère politique des lois répressives devient alors plus évident. Le premier chapitre est dédié à l’invention de la grève « légale ». Les chapitres subséquents examinent le recours de plus en plus récurrent aux lois spéciales. Analyse par analyse, les auteurs souhaitent confirmer leur hypothèse à savoir que le caractère des lois d’exception est essentiellement politique.
L’ouvrage arrive à point. Les organisations syndicales commencent à s’organiser pour la prochaine ronde de négociation et on peut espérer que tous et toutes en prendront connaissance et débuteront une franche réflexion sur les pistes de solutions afin d’annuler ou d’amoindrir les effets démobilisant au cube de l’imposition d’une loi qui vient clore la négociation d’une convention collective.