Dossier : Ouvrir l’école

Dossier : Ouvrir l’école

Dessine-moi une école

Rémi Leroux

Des bâtisses lumineuses, accueillantes, respectueuses du rythme d’apprentissage de chacun, disposant d’espaces de travail collaboratifs et flexibles… voilà ce que doit être l’école d’aujourd’hui.

Depuis quelques années, l’actualité est rythmée par la découverte de cas de moisissures, de contamination fongique, de conduits d’aération propulsant un air vicié dans les écoles. Des écoles ferment, des élèves sont relocalisés dans des établissements dont on découvre après coup qu’ils sont eux-mêmes insalubres. Alors, d’autres écoles ferment et attendent d’être décontaminées ou reconstruites.

Parallèlement, la population scolaire croît à un rythme que le ministère de l’Éducation et les commissions scolaires sont incapables d’anticiper. Difficile de ne pas voir dans un tel manque de vision pour l’architecture des établissements scolaires le signe d’un manque de vision pour l’éducation.

Bourrer les écoles, encore et encore

Dans de nombreuses municipalités, des groupes scolaires conçus pour accueillir 250 ou 300 élèves maximum se retrouvent aujourd’hui avec des effectifs qui explosent. De 400 à 450 élèves s’entassent dans des établissements dont il est désormais impossible de repousser les murs. On ne construit pas de nouvelles écoles au Québec. On préfère bourrer les anciennes et, lorsque l’œuf est plein, on ajoute des poulaillers improvisés dans la cour. Histoire d’augmenter encore le nombre d’élèves tout en réduisant l’espace dédié aux activités extérieures.

La grande majorité des écoles québécoises sont anciennes. Les problèmes sanitaires sont révélateurs d’une forme d’étiolement du bâti scolaire et la pression démographique couplée à l’inaction politique ne font que rendre plus criant les besoins de nouvelles écoles.

« Abattons les murs ! »

En 2013 à Montréal, un évènement baptisé « Abattons les murs ! Une nouvelle architecture pour l’école publique » avait été organisé par l’organisme communautaire la Troisième Avenue et le Centre canadien d’architecture. Cette initiative se présentait sous la forme d’une « charrette citoyenne » où les participants étaient invités à concevoir collectivement les maquettes de l’école de leurs rêves.

À quoi peut-elle bien ressembler, cette école idéale ? Pourrait-on l’imaginer sans murs et entourée d’un jardin luxuriant ? L’espace scolaire est souvent perçu par ses usagers comme une sorte de carcan, « un cadre contraignant de travail et de vie où il appartient à chacun de trouver sa place », écrit la sociologue Marie-Odile Nouvelot. Depuis toujours, les liens sont étroits entre les pratiques pédagogiques et éducatives et les lieux physiques où elles s’expriment. L’école expérimentale créée par le philosophe américain John Dewey ou la pédagogie imaginée par le Français Célestin Freinet au début du 20e siècle sont deux exemples d’expériences qui ont bousculé l’organisation spatiale au sein de l’école.

Architecture et décrochage scolaire

En plus d’un siècle, de nombreuses idées novatrices ont émergé. Mais les expériences ratées sont malheureusement demeurées la norme. En bâtissant des écoles polyvalentes gigantesques où le rôle actif de chacun des enfants est devenu très difficile à imaginer, on a progressivement annihilé les ambitions des pédagogues et architectes progressistes du siècle dernier.

Depuis la fin des années 1970, de nombreuses études ont fait la démonstration que plus les écoles sont petites, plus les élèves participent. L’école doit rester ce lieu social où se forge la citoyenneté et se développent les aspirations individuelles et collectives. Dans un environnement surpeuplé, une grande partie des élèves sont confinés au rôle de spectateurs. « Le système a alors tendance à les écarter et à affaiblir leur sentiment d’appartenance à l’institution. Les grandes écoles sont un partenaire inavoué du décrochage scolaire  », explique le psychologue et ancien député péquiste Camil Bouchard, impliqué aujourd’hui dans un projet d’école « autonome » développé sur le site du Technopôle Angus à Montréal.

En d’autres temps, l’école occupait une place centrale dans la vie de la communauté. Dans les villages, tout comme l’église, l’école était un point de repère. En milieu urbain, on parlait de l’école de quartier comme d’un lieu ouvert. Progressivement pourtant, l’école s’est renfermée sur elle-même. Au point que, dans certains quartiers, les parents ne sont pas les bienvenus dans l’école de leur enfant.

Ouvrir et respirer

Comment « ouvrir » l’école pour l’amener à retrouver le sens de la communauté ? La plupart des transformations physiques pourraient être envisagées à partir des bâtiments existants, souligne l’architecte montréalais Ron Rayside. La façade principale qui donne sur la rue pourrait par exemple être transformée en vitrine. Le signal très clair d’une ouverture. La communauté peut désormais voir ce qui se passe dans l’école et vouloir y participer. Mais la transformation physique du bâtiment et de ses usages implique l’adhésion de l’ensemble des représentant·e·s de l’institution scolaire.

Quoi d’autre encore ? De larges baies vitrées qui s’ouvrent sur un jardin arboré, des parois mobiles qui permettent de réorganiser l’espace en fonction des besoins, des salles multifonctionnelles équipées d’un mobilier coloré, un amphithéâtre forum qui fait office de « place du village » et des élèves qui évoluent dans cet environnement sécuritaire et bienveillant… Cet environnement fait rêver ? Pourtant, il existe. C’est celui de la North Shore Country Day School de Winnetka. Située dans l’Illinois, aux États-Unis, cette école préfigure ce que doivent être les établissements scolaires non pas de demain, mais bien d’aujourd’hui.

Toujours aux États-Unis, pays qui n’est pourtant pas réputé pour accorder une place centrale à l’éducation, la firme Cannon Design installée à Chicago a imaginé il y a quelques années le concept du « troisième enseignant » – The Third Teacher –, un projet collaboratif réunissant soixante-dix-neuf propositions pour transformer, grâce au design et à l’architecture, l’environnement physique de l’école.

« Cet environnement physique est pour l’élève aussi important que ses enseignants ou ses pairs », explique l’architecte Trung Le, l’un des artisans de cette nouvelle vision de l’architecture scolaire. Selon lui, « une école ouverte, lumineuse et transparente signifie des élèves moins susceptibles de faire de mauvaises choses ».

Parce que… 2018

L’expérience de charrette citoyenne organisée à Montréal en 2013 faisait figure d’initiative particulièrement innovatrice il y a cinq ans. Il a pourtant fallu attendre précisément cinq ans pour que le sujet revienne dans l’actualité. Avec le Lab-École, organisme fondé et lancé à l’automne 2017 par l’architecte Pierre Thibault, le cuisinier Ricardo Larrivée et le sportif Pierre Lavoie, le Québec s’intéresse enfin à l’architecture de ses écoles. Outre les saines habitudes de vie et l’alimentation, ce projet très mainstream considère l’environnement physique comme central dans l’équilibre, le développement et le bien-être des enfants. Il était temps.

À son lancement, le Lab-École a reçu une volée de bois vert de la part des syndicats de l’enseignement – « Opération de relations publiques  », pour la FAE ; « celles et ceux qui font l’école au quotidien ne sont pas concertés », pour la CSQ. Sans préjuger de ce que seront les lignes directrices proposées par le Lab-École, il y a à craindre que le projet ne suffise pas à répondre aux nombreuses urgences actuelles. Car, les réponses ne pourront pas prendre éternellement la forme de classes modulaires et de sourires ravis des politicien·ne·s qui les inaugurent. Car, en attendant, les enfants continuent à chercher un peu de lumière, entre les casiers, au bout du corridor.

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