Regards sur l’école alternative

Dossier : Ouvrir l’école

Dossier : Ouvrir l’école

Regards sur l’école alternative

Annie-Geneviève Morel, Julien Rosa-Francoeur

Avez-vous déjà rêvé d’inventer une école nouvelle, dynamique, humaniste ? Sous l’impulsion de communautés de parents engagés un peu partout au Québec, une quarantaine d’écoles publiques dites alternatives ont vu le jour depuis les années 1970. Ce qui s’y passe pourrait servir d’inspiration afin de repenser l’école québécoise.

Au Québec, la première « école active » a été fondée par Colette Noël en 1957 ; elle était basée sur la pédagogie Freinet qui prône l’expression libre des enfants, le travail manuel et la coopération. Dans une société plongée dans la « Grande Noirceur », où les processus d’apprentissage étaient peu créatifs, reposant sur l’apprentissage par cœur et la punition, il va sans dire que les approches de madame Noël contrastaient avec la norme. À la suite de la commission Parent, Mme Noël demande l’intégration de son école dans le réseau public, ce qui lui est refusé. Elle décide de fermer son école, refusant d’exclure les familles ne pouvant se payer les frais d’inscription.

C’est en 1974 qu’est fondée la première école publique alternative du Québec. Dans l’arrondissement Saint-Laurent à Montréal, l’école-recherche baptisée Jonathan va jeter les bases de ce que sont les écoles alternatives actuelles. Aujourd’hui regroupées sous l’égide du RÉPAQ (Réseau des écoles publiques alternatives du Québec), les écoles alternatives partagent des valeurs et des pratiques dont nous ferons le survol.

L’approche centrée sur le multiâge

Bien que les écoles alternatives du Québec respectent les objectifs du Programme de formation de l’école québécoise, leur pédagogie est davantage centrée sur le développement global de l’enfant. Au-delà des apprentissages scolaires, l’enfant mène à terme des projets personnels ou collectifs qui lui permettent d’exprimer sa créativité, d’apprendre à mieux se connaître et à réfléchir sur sa façon d’apprendre, d’assumer ses responsabilités et ses choix ainsi que de travailler en équipe.

Les approches varient d’une école à l’autre, mais on retrouve partout le même souci d’amener l’enfant à se dépasser et à développer l’ensemble de ses talents. Les élèves participent activement à la vie de l’école en décidant démocratiquement des projets qui y sont réalisés et en s’engageant dans divers comités. Les élèves sont regroupés en classes multiâges ; les plus jeunes et les plus vieux s’entraident, chaque enfant pouvant tour à tour bénéficier du soutien des autres ou leur venir en aide, selon le contexte et les habiletés de chacun·e.

La place des parents

Une autre composante essentielle de la réussite des écoles alternatives réside dans l’implication des parents. À la base, chaque école alternative est un projet communautaire visant le bien commun. En lieu et place d’une fracture entre l’école et la maison, on cherche à établir une continuité en assurant une cohérence des valeurs. Loin d’être cosmétique, l’implication des parents est réelle et profonde auprès des enfants directement ainsi que dans l’administration de l’école. Ils ont de multiples façons de s’engager, leur rôle étant de contribuer à la vie de la communauté scolaire et non de consommer ou de juger ce qui s’y passe. Les parents pilotent des comités où siègent également des membres de l’équipe-école afin de mettre sur pieds des projets d’une grande variété, qu’il s’agisse de spectacles, d’initiatives environnementales ou d’achats de livres pour la bibliothèque. Ces comités façonnent l’école.

Les talents des parents sont aussi mis à contribution pour faire vivre des activités aux enfants. Par exemple, un parent passionné d’ébénisterie peut faire confectionner des coffres à outils aux élèves de l’école, pas uniquement à celles et ceux de la classe de son enfant. Cette synergie entre les parents, l’équipe-école et les enfants crée une véritable communauté tissée serrée qui donne de l’importance à l’école, qui ne se limite plus à un bâtiment, mais qui représente maintenant un ensemble de valeurs et d’individus qui travaillent ensemble pour un bien commun.

Le sentiment d’appartenance qui en résulte, tant chez les enfants que les parents et l’équipe-école, est source de motivation pour les élèves. Les parents sont enclins à s’intéresser plus longtemps à la scolarité de leur(s) enfant(s) et aux enjeux liés à l’éducation. C’est peut-être ce qui pourrait inspirer l’école québécoise. Pour ce faire, il faut des écoles à échelle humaine. Il faut également de l’ouverture et de l’engagement de la part de tous les intervenantes et intervenants. Ce n’est peut-être pas le souhait de tous les parents ou de tous les acteurs et actrices du milieu de l’éducation de procéder avec tant d’ouverture, mais il faudrait à tout le moins que celles et ceux qui le désirent puissent le faire.

Pour développer un tel esprit de communauté dans l’ensemble des écoles du Québec, il serait intéressant de puiser dans la philosophie des écoles alternatives un peu de cette ouverture. Un milieu où les parents sont véritablement les bienvenus nourrira chez eux un intérêt sur ce qui se déroule à l’école. Pour l’enfant, ce sera le sentiment d’être encouragé et soutenu qui sera suscité. L’addition de l’ensemble de ces expériences positives ne peut que contribuer à augmenter l’importance que notre société accorde à l’éducation.

Évidemment, il faut bien reconnaître que les écoles alternatives ont également leurs limites et leurs lacunes. D’abord, elles ne sont pas à l’abri des dérives individualistes et consuméristes qui affligent nos sociétés. Plusieurs écoles, dont la nôtre, doivent constamment se remettre en question afin de rester fidèles à leurs idéaux. Certains parents peuvent souhaiter que leur enfant bénéficie de la pédagogie alternative pour développer ses qualités et ses talents dans des visées de performance sans pour autant s’investir auprès de la communauté scolaire, ce qui dénature le projet alternatif. Ensuite, on peut questionner le fait que les écoles alternatives concentrent en leur sein des familles engagées et impliquées alors que d’autres écoles auraient pu se partager ces ressources dynamiques. Peut-être s’agit-il d’un « écrémage » comparable à la pression qu’exercent les écoles privées et les programmes particuliers sur l’école publique. On peut toutefois se consoler en se disant que plusieurs écoles dites traditionnelles – sinon la plupart – n’offrent pas énormément de latitude pour permettre à ces familles de s’engager aussi pleinement.

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