Seth Tobocman
Quartier en guerre
Seth Tobocman, Quartier en guerre, CMDE, 330 p.
L’histoire des États-Unis (la biographie de la famille Trump le prouve encore) est étroitement liée à l’histoire de sa spéculation immobilière. Si la gentrification se poursuit encore aujourd’hui, la période des années 1980 et 1990 est cruciale pour la comprendre. Durant cette période, on a vu se développer une nouvelle forme de résistance, prise en main par des habitants qui apprennent à s’unir, à s’organiser et à replacer la lutte contre les effets de la spéculation immobilière dans un combat plus large contre le capitalisme qui détruit nos vies.
Seth Tobocman est un artiste de bande dessinée à part. Depuis les années 1970, il n’a publié qu’une demi-douzaine de livres. La plupart de ses productions graphiques sont indépendantes ou éditées dans le périodique collectif World War Three Illustrated, mais le plus souvent, il les offre à des groupes militants pour leurs tracts ou leurs posters. Plusieurs de ses dessins ont hanté des militants du monde entier et il est le héros secret de nombre d’entre eux.
La fibre militante anarchiste est venue à Tobocman lorsqu’il habitait dans le quartier du Lower East Side de New York, où il a observé ses voisins se battre contre les hausses de loyer dès 1979. Il a ensuite participé aux manifestations contre la fermeture du parc aux sans-abris et finalement aux premières occupations de bâtiments vides, devenus des squats. C’est ainsi que, pendant quelques années, il a lui-même vécu dans un squat, participé à sa gestion et tenté de régler les petits comme les grands problèmes, avec la police, la justice, la mairie ou simplement entre squatteurs, locaux ou immigrés, ouvriers ou punks, hommes ou femmes. Pendant tout ce temps, il s’est toujours posé beaucoup de questions sur la meilleure marche à suivre…
À la sortie de son squat, il décide de raconter cette histoire en bande dessinée dans War in the Neighborhood. Il la raconte à sa façon, à l’aide d’un graphisme proche du fanzine ou du dessin militant, mais avec une narration très personnelle qui mêle ses joies et regrets. Il s’agit d’une expérience historique, d’une expérience personnelle, mais aussi d’une leçon de vie, une leçon de militantisme avec ses exemples à suivre, ses erreurs à ne pas reproduire et ses questions parfois laissées sans réponse.
Publié rapidement en 1999, ce livre est aussi rapidement épuisé et l’on trouve peu de copies en bon état de la première édition. Il faut attendre 2016 pour une belle réédition (chez Ad Astra Comix) et 2017 pour une première traduction en français (Quartier en guerre) jouissant d’un travail d’édition du CMDE (de Toulouse) encore plus beau que pour l’original !
Les leçons de Tobocman sont encore valables et nécessaires aujourd’hui, et c’est une chance qu’il puisse nous en faire bénéficier sous la forme d’un roman graphique, démontrant encore une fois, si besoin était, le potentiel subversif de cette expression artistique.
Aujourd’hui encore, Tobocman est un artiste et un militant. Ses activités l’ont mené de New York à la Nouvelle-Orléans, et même en Palestine, pour y dénoncer la guerre, la violence policière ou se battre contre le capitalisme qui détruit les gens et la nature. Quand il le peut, il n’hésite pas non plus à faire partager son expérience en personne, comme en mai dernier à Montréal, ville rongée, elle aussi, par la gentrification...