Dossier - Transition écologique, le grand virage
Le climat, l’État et nous
Au cours des 15 dernières années, les Québécoises et Québécois ont adopté une position presque unanime sur la question des changements climatiques, acceptant leur réalité et la nécessité d›agir rapidement afin d’en réduire les impacts. Dès 2006, poussé en partie par la population, le gouvernement du Québec présenta une politique énergétique tournée vers les énergies renouvelables.
Quelques années plus tard, il adoptait, avec l’appui de l’ensemble des partis politiques et de la majorité de la société civile, des cibles ambitieuses de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20 % d’ici 2020 par rapport à 1990, des objectifs portés à 37,5 % d’ici 2030.
Tout en défendant ces objectifs, les gouvernements successifs se sont laissé tenter par les promesses d’enrichissement par le pétrole et le gaz naturel, soutenant, puis abandonnant, l’exploitation du gaz de schiste sur la rive sud du Saint-Laurent et du pétrole sur l’île Anticosti. Malgré ces contradictions, toutefois, la volonté du Québec de participer à la lutte mondiale aux changements climatiques est forte et détonne avec la réalité nord-américaine. En effet, les émissions au Québec, à environ 9,7 tonnes d’équivalents CO2 (t.éq. CO2) par habitant, sont déjà parmi les plus faibles en Amérique du Nord, sous la Californie, à 11,3 t.éq. CO2, et à la moitié de la moyenne canadienne, de 20,1 t.éq. CO2. Partant déjà d’un faible niveau, les réductions annoncées par Québec ne seraient donc qu’une goutte d’eau dans le total canadien et nord-américain alors même que la population québécoise devra travailler beaucoup plus fort que ses concitoyens pour y parvenir.
Ce constat n’est pas que théorique. Les objectif du Québec sont inscrits, depuis 2013, dans un marché du carbone intégré à la Californie en 2015 et auquel se joindra bientôt l’Ontario. Or, depuis les débuts de ce marché, le Québec se voit forcé d’acheter des droits d’émission à la Californie afin de compenser son incapacité à atteindre ses propres cibles, une situation qui ne semble pas vouloir se corriger. Au contraire, le Québec devrait acheter au moins 10 millions de tonnes de droits d’émission en 2020, sortant environ 200 millions $ de son économie. Cette somme augmentera rapidement au cours des années subséquentes à moins d’un revirement majeur, car le gouvernement s’apprête à étendre, par règlement, la participation du Québec au marché jusqu’en 2030, en maintenant sa cible de 37,5 % de réduction.
Malgré un appui massif de l’ensemble des acteurs du Québec et des efforts réels, l’approche retenue depuis une dizaine d’années s’avère donc un échec presque complet avec des émissions qui stagnent depuis 2009. Plutôt que de multiplier les appels à la vertu, il est donc grand temps que les partis politiques et les citoyen·ne·s s’attaquent à ce problème. Car l’échec de la lutte aux changements climatiques est autant la responsabilité des élu·e·s que des individus : alors que les programmes gouvernementaux ratent leurs objectifs, les Québécois·e·s n’ont jamais acheté autant de gros véhicules qu’aujourd’hui — des VUS aux pickups. Leurs rapports aux changements climatiques oscillent constamment entre le désir de les combattre et une faible volonté d’agir, comme le montre la réaction des citoyens à la suite des inondations du printemps 2017, alors que, malgré les dégâts et les coûts pour l’ensemble des contribuables, l’opinion s’est rangée derrière ceux qui voulaient reconstruire à l’identique, sans tirer les leçons de ce sinistre.
Confronter la réalité
Dans ce contexte, deux options s’offrent à nous. La première exige d’abandonner toute prétention à la vertu et d’accepter que la situation enviable du Québec en matière d’émissions de GES est largement le fait de sa géographie et de choix énergétiques judicieux pris entre 1960 et 1990, alors que les gouvernements successifs ont fait le pari de l’hydroélectricité à grande échelle.
En avance sur le reste du Canada et de la vaste majorité des pays de la planète dans son utilisation de l’énergie à faible empreinte carbone, le Québec devrait s’aligner, au mieux, sur les objectifs canadiens, laissant tomber le marché du carbone, pour implanter plutôt une taxe minimale sur le carbone, qui assurera au moins de conserver des revenus pour les redistribuer à l’ensemble des contribuables. Il nous sera donc possible de progresser, en attendant que le reste du pays atteigne les niveaux québécois d’émissions par habitant, ce qui risque de prendre au moins une vingtaine d’années. Cette approche permettrait au Québec de suivre les transformations du reste de la planète, particulièrement en matière d’électrification des transports, sans que personne ne soit forcé de changer ses habitudes.
La deuxième option implique, au contraire, un engagement profond de la société québécoise dans la transformation de son économie et de ses habitudes de vie qui sera nécessaire à l’atteinte de ses objectifs en matière environnementale. En effet, il est impossible et illusoire de viser l’atteinte d’objectifs de réductions ambitieux des émissions de GES en s’attendant à ce que la société puisse continuer lontemps à fonctionner comme aujourd’hui : la réduction de 40, 50 et même 90 % des émissions pour 2050 visée par le gouvernement du Québec exigera des investissements et des efforts massifs. Ceux-ci pourraient s’opposer à d’autres objectifs de développement, à moins qu’on ne les combine efficacement et qu’on en profite pour améliorer la qualité de vie, le développement économique, l’environnement, l’éducation et la santé de l’ensemble des Québécois·e·s.
Plusieurs raisons militent pour une telle intégration. Tout d’abord, l’impact des efforts du Québec sur la santé de la planète est négligeable. Si le Québec réussit à atteindre ses objectifs, aux prix d’efforts coûteux et de privations alors que le reste du monde fait du surplace, les citoyen·ne·s se sentiront floué·e·s, avec raison. Se retrouvant plus pauvres et incapables de bénéficier du fruits de leurs efforts, la population québécoise n’aura alors gagné qu’en cynisme.
Suivant l’exemple des pays qui progressent réellement dans la réduction des émissions de GES, le Québec doit donc combiner, s’il veut gagner la guerre du climat, la lutte aux changements climatiques à l’ensemble de ses actions visant à faire avancer la société vers des objectifs de développement plus larges, faisant en sorte que même si le reste de la planète ne s’engage pas dans la réduction des émissions de GES, les Québécois·e·s sortent gagnants de leur propre transformation et dans une société bien meilleure que celle que nous aurions si nous suivions la première option.
Repenser les actions politiques de l’environnement
Il est important de le répéter : l’échec actuel face aux défis environnementaux auxquels le Québec est confronté n’est pas dû à un manque de bonne volonté. Tant les élu·e·s que les fonctionnaires sont engagé·e·s avec conviction dans la lutte aux changements climatiques.
La difficulté à progresser est plutôt causée par des structures gouvernementales mises en place afin de gérer des enjeux circonscrits et bien définis par des ministères uniques. Or les grands défis environnementaux, dont les changements climatiques, touchent l’ensemble des activités humaines, incluant l’aménagement et l’occupation du territoire, le développement économique, le transport, la santé, l’eau et la protection des milieux de vie. Elles exigent pour être traitées convenablement de nouvelles structures d’action politique capable de briser le type d’organisation actuelle et d’intégrer les décisions de manière cohérente.
Si plusieurs modèles intéressants existent à l’étranger, la nature d’une structure appropriée pour le Québec demande à être précisée. C’est pourquoi un groupe de chercheurs·euses universitaires indépendant·e·s a décidé de lancer, avec le soutien du scientifique en chef du Québec, de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal et de l’Institut du Nouveau Monde, une réflexion à l’automne 2017 afin d’identifier un modèle québécois capable de relever avec succès les défis environnementaux du XXIe siècle et de placer cet enjeu aux cœur de la prochaine campagne électorale du Québec.
Cet effort rejoint l’appel de plus en pressant de nombreux groupes et observateurs de tous les milieux qui constatent également que sans une volonté claire et des actions cohérentes, le Québec ne pourra pas faire face aux grands défis environnementaux du XXIe de manière efficace et il est crucial que ce sujet s’impose dans les débats qui mèneront aux élections prévues pour l’automne 2018. Nous n’avons plus le temps de repousser l’action.