Travailleuses et travailleurs temporaires. Grande victoire dans le réseau de la santé

No 071 - oct. / nov. 2017

Chronique travail

Travailleuses et travailleurs temporaires. Grande victoire dans le réseau de la santé

Léa Fontaine

La décision du 9 août 2017 du Tribunal du travail (TAT) constitue une avancée historique dans le monde des relations tripartites du travail. Les travailleuses et travailleurs temporaires du réseau de la santé sont aujourd’hui reconnu·e·s comme des employé·e·s des centres fournissant des services de santé et services sociaux. En d’autres mots, le véritable employeur est l’hôpital et non plus l’agence de placement de personnel. Une révolution juridique.

Dans une décision opposant la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS), en l’occurrence le service de soins intensifs et d’urgence (SSIU) de l’hôpital Santa Cabrini, le Tribunal du travail vient de décider que les travailleuses et travailleurs temporaires issus de différentes agences de placement de personnel (APP), ayant conclu des contrats de mise à disposition de cette main-d’œuvre avec le CIUSSS, au bénéfice de l’hôpital, sont considérés à l’emploi de ce dernier, et non pas salariés des APP. En d’autres mots, les salariées et salariés travaillant dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) ne peuvent se soustraire du cadre juridique propre à celui-ci, en ayant comme employeur une entreprise non visée par la Loi sur le RSSS et les autres lois pertinentes au secteur.

Encadrement du réseau de la santé et des services sociaux

De manière générale, les APP ne sont pas encadrées par la loi. Les entreprises ont recours à celles-ci afin d’externaliser assez facilement les responsabilités et les risques revenant normalement à l’employeur. Une véritable aberration, qui permet à certaines entreprises d’abuser des travailleuses et travailleurs temporaires !

Toutefois, dans le RSSS, il existe quelques dispositions spécifiques. Il en ressort notamment que les établissements publics, comme les SSIU des hôpitaux, doivent assumer des obligations en matière de prestation, de qualité et de continuité des soins, lesquelles se traduisent en matière d’organisation du travail et des conditions de travail de leurs employés. Ces mêmes établissements doivent également prendre en considération l’existence de quatre catégories de personnel pour la mise en œuvre de la représentation collective ou encore assurer les services essentiels en cas de grève.

D’une part, la convention collective nationale prévoit que l’hôpital doit accorder la priorité d’attribution de tâches à ses salarié·e·s disponibles et non à des fournisseur de main-d’œuvre indépendante. D’autre part, une circulaire impose certaines conditions, soit par exemple, l’obligation de lancer des appels d’offres publics ou encore l’obligation de soumettre les travailleuses et travailleurs provenant des APP aux mêmes exigences professionnelles que le personnel « régulier ».

Approche globale, souple et adaptée

Au-delà de cet élément, plusieurs critères peuvent permettre d’établir l’identité du véritable employeur. Il en est ainsi de la subordination et l’intégration qui sont des critères d’importance majeure. Suivent la sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation du rendement, la supervision du travail, les assignations des tâches ou encore la rémunération.

Depuis la décision Ville de Pointe-Claire de 1997 (voir encadré), les relations du travail ont évolué ; le bipartisme cède de plus en plus le pas au tripartisme, notamment lorsque l’employeur recourt aux service d’une agence. Il suffit pour s’en convaincre de lire la jurisprudence [1]. Dès lors, il faut analyser les critères issus de cette décision et les pondérer. En effet, les décisions doivent refléter la réalité vécue par les agences, mais aussi par les « entreprises » ou « établissements » qui ont recours à une main-d’œuvre externe. Pour la décision qui nous intéresse, il convient d’adapter l’approche souple et globale au RSSS. Le TAT doit, par exemple, tenir compte du fait que les établissements SSS ont dû se plier à la volonté du gouvernement d’être divisés en quatre unités d’emploi aux fins de syndicalisation et de négociation collective. En pratique, par l’entremise de l’approche souple et globale adaptée, le TAT doit vérifier qui détermine les conditions de travail, qui contrôle l’exécution du travail, qui va assurer les services essentiels, etc.

Qui est le fournisseur de soins ?

Le cœur de la solution au débat sur la détermination du véritable employeur réside dans la réponse à cette question : qui des APP ou des travailleuses et travailleurs temporaires dispensent des soins ? L’agence met à disposition de l’hôpital des personnes qualifiées et compétentes qui exercent les mêmes fonctions que les salarié·e·s inclus dans l’unité d’accréditation comprenant « le personnel infirmier des soins intensifs et d’urgence de l’hôpital ». Ce n’est pas l’agence qui est experte « en soins intensifs et en urgence ». D’ailleurs, elle ne travaille pas au sein de l’hôpital : au début aucun représentant de l’APP ne s’y déplace, l’APP n’a pas accès aux dossiers médicaux, etc. La prétention que les APP dispensent des soins plutôt que de faire du placement de travailleuses et travailleurs temporaires constitue une dénaturation évidente de leur mission et de leur contribution. Ce sont les travailleuses et travailleurs temporaires qui y travaillent, qui doivent s’adapter aux conditions de travail et à la mission de l’hôpital, qui se plient au contrôle exercé par l’hôpital ou encore qui doivent s’intégrer dans les différentes équipes. Qui plus est, ce sont l’hôpital et le CIUSSS qui sont imputables en cas d’erreur, que les soins soient prodigués par un de leurs salarié·e·s ou une travailleuse ou un travailleur temporaire. Selon le TAT, dans un tel cas, les APP sont de simples sous-traitants pour les ressources humaines du CIUSSS, de simples fournisseurs de main-d’œuvre…

Une énorme victoire !

Même si le recours à des APP a diminué de 40 %, grâce à une entente signée entre les syndicats et le gouvernement, la décision rendue le 17 août 2017 constitue une avancée très importante dans le domaine des relations entre le RSSS et les APP. Le tribunal a donné totalement raison à la FIQ. Aujourd’hui, les travailleuses et travailleurs mis à disposition, par une APP, auprès d’un établissement du réseau font partie de l’unité d’accréditation et de négociation de celui-ci, comme les salariées et salariés réguliers dudit établissement. Ceci signifie que la convention collective nationale va leur être applicable et leur offrir, en conséquence, droits et avantages sociaux dont elles et ils ne bénéficiaient pas par le passé. Cette décision permettra sans doute aussi de stabiliser l’organisation du travail au sein du RSSS ; mais aussi de limiter le recours aux travailleuses et travailleurs temporaires qui coûtent plus chers à la société que des salarié·e·s réguliers. Cette décision pourrait sonner le glas du système d’emploi à double niveau ou au moins de diminuer son recours dans le RSSS.

Cependant, tout n’est pas réglé. Il faudrait que le législateur y mette du sien et adopte des dispositions limitant concrètement le recours aux agences de manière générale, puis de les obliger à s’enregistrer, à être solvables, à garantir de bonnes conditions de travail et de santé et sécurité aux travailleuses et travailleurs, à obtenir un permis d’exercer, etc.


[1Idem ; décisions : Mitis (Syndicat des infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes de l’Est du Québec (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de La Mitis, 2009 QCCRT 0233 ; requête en révision judiciaire rejetée, 2009 QCCS 5571) ; Gatineau (Syndicat des professionnelles en soins infirmiers et cardio-respiratoires du CSSS Gatineau (FIQ) c. Centre de santé et de services sociaux de Gatineau, 2008 QCCRT 0344 ; requête en révision interne rejetée, 2009 QCCRT 0153) ; de la Montagne (Syndicat des professionnelles en soins du CSSS de la Montagne (FIQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Montagne, 2009 QCCRT 0442 ; requête en révision judiciaire rejetée, 2011 QCCS 81) ; etc.

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