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De la hantise identitaire à l’islamophobie : une pente fatale ?
Extraits du livre L’université : fin de partie et autres essais à contre-courant de notre collaborateur Jacques Pelletier, paru aux éditions Varia.
Le texte qui suit a été écrit avant l’attentat meurtrier de Québec. Cet acte, qui demeure à analyser, donne lieu actuellement à une prise de conscience chez certains dirigeants politiques impliqués dans ce débat et chez certains intellectuels qui ont soufflé sur les braises de l’intolérance, mais pas chez tous hélas. Et on retrouve déjà, dans certaines prises de position et dans les échanges sur les médias sociaux, des propos qui ne diffèrent guère des préjugés en circulation depuis quelques années et qui ne rendent guère optimiste pour l’avenir.
Bref retour sur la charte péquiste des valeurs
Je formulerai quelques remarques, en vrac, sur ce projet que l’on croyait définitivement enterré mais qui risque de faire un retour sous une forme ou une autre si le courant du nationalisme identitaire conserve son hégémonie.
1 – Sur le contenu de la Charte, que plusieurs ont identifiée à « Une charte pour la nation », tout semble bien avoir été dit, et plusieurs fois plutôt qu’une, sur le mode de l’argumentation parfois, sur celui des insultes et des injures le plus souvent. Pour ma part, et sans prétendre à quelque originalité que ce soit, je me suis reconnu globalement dans la position adoptée par la CSN : laïcisation des institutions publiques et interdiction des signes religieux ostentatoires pour les figures de coercition – juges, gardiens de prison, policiers, etc. – et pour les figures d’autorité intellectuelle, spirituelle et morale que représentent les enseignants du primaire et du secondaire pour leurs élèves. Je divergeais, et je diverge toujours, sur ce point de la position dominante dans le camp des « inclusifs » bien que sur le fond de la question je suis plutôt d’accord avec eux. Sur un plan plus général, je souhaitais et je souhaite toujours que les employés de l’État observent un devoir de réserve dans l’exercice de leurs fonctions, mais je ne crois pas nécessaire que cela soit imposé par une interdiction formelle sous forme de règlement ou de loi.
2 – Ce débat s’est déroulé dans un climat paraissant sombrer par moments dans une véritable névrose obsessionnelle. C’était prévisible dans la mesure où il soulève, dans un cocktail explosif, au moins quatre questions elles-mêmes déjà sensibles, considérées isolément : la laïcité, l’égalité hommes/femmes, l’immigration et, enfin, coiffant le tout, la question nationale qui sert de fil rouge.
Si on l’aborde à partir de la stricte variable de la laïcité, le projet de loi déposé par le gouvernement était en effet inutile et discriminatoire, démesuré en regard des objectifs qu’il se donnait explicitement pour mission de réaliser. Le Québec est en effet aujourd’hui une société largement laïque sur le terrain concret des pratiques et des mentalités. Sur le plan des institutions, il reste à effectuer des ajustements (le crucifix à l’Assemblée nationale, les prières dans certains conseils municipaux, le financement des écoles privées confessionnelles, etc.). Tout cela est parfaitement faisable sans débat acrimonieux et le gouvernement aurait très bien pu emprunter cette voie comme le lui suggéraient plusieurs organisations de la société civile.
3 – Le PQ a préféré le terrain de l’affrontement avec sa disposition d’interdiction générale du port des signes religieux qui se serait appliquée, essentiellement, aux femmes arabo-musulmanes, en quoi son effet, sinon sa visée explicite, aurait été discriminatoire. Pourquoi a-t-il tout de même privilégié ce choix ? Par radicalisme laïque ? Il est sûr que cela lui a permis de gagner à sa cause la frange combative de ce courant. Mais ce n’est sans doute pas l’essentiel.
4 – Ce projet trouve son origine et son auto légitimité dans le cadre du virage effectué par le mouvement souverainiste en direction d’un nationalisme davantage identitaire. Il correspond à l’émergence de ce courant et à sa prise de contrôle, au moins idéologique, des principales organisations politiques qui encadrent ce souverainisme nouveau.
Ce retour au nationalisme comme fondement nécessaire du souverainisme renoue également avec la vieille doctrine de l’Union nationale, légèrement revampée et relookée. Il s’agit d’abord de protéger la communauté canadienne-française et les fondements qui assurent sa valeur et son patrimoine : son histoire, sa langue, sa religion. C’est ce « Nous » qu’il faut d’abord consolider et auquel, après le double échec référendaire, notre esprit fertile voulait donner enfin « une victoire politique collective ».
La mobilisation autour de cet enjeu au cours des mois précédant et accompagnant le projet de Charte a encouragé les fins stratèges du PQ à penser qu’un nouveau consensus était en train de se constituer autour de ce nouveau vieux nationalisme, préfigurant sans doute une victoire plus large sur la question de la souveraineté. C’était un pari qui comportait sa part de risque dans la mesure où cette victoire pouvait apparaître et apparaissait déjà à plusieurs comme celle d’une exclusion de tous ceux qui ne sont pas déjà considérés comme partie intégrante de ce « Nous » rabougri et réduit aux « incommodés » de sa composante majoritaire.
5 – Le nationalisme était tenu en bride au RIN et dépassé en acte dans la lutte indépendantiste, qui battait au rythme de la décolonisation. Au PQ de naguère, qui défendait un souverainisme de compromis, accompagné d’un désir d’association puis de partenariat avec le Canada, la préoccupation d’ouverture aux autres, de construction d’un « Nous » irréductible à sa composante originaire, accueillant tous les habitants du territoire, était aussi très présente, et plus particulièrement chez certains dirigeants du parti, René Lévesque et Gérald Godin en tête.
Peut-on en dire autant aujourd’hui ? Le débat autour de la Charte, à ce titre, a été particulièrement révélateur du « cours nouveau » emprunté par l’actuel souverainisme québécois, très nationaliste, dont un Jacques Parizeau lui-même, très critiqué pour sa déclaration au soir de la défaite référendaire de 1995, a pris ses distances dans une intervention publique au moment de la Charte, contrairement à un Lisée endossant le projet gouvernemental en dépit de ses réserves.
Le cul-de-sac identitaire
L’islamophobie, tant comme réalité que comme notion, fait l’objet d’un débat social et politique, intense, très conflictuel, dans l’espace public de nos sociétés contemporaines.
Comme réalité, il faudra toutefois davantage que des vœux pieux et des interventions individuelles pour la faire reculer. Et les lois républicaines et les projets de Charte, qui privilégient la voie juridique, n’y parviendront vraisemblablement pas non plus.
C’est une question qu’il faut affronter sur le terrain social, celui de l’intégration effective dans l’univers du travail et dans celui des conditions de vie : l’école, le logement, l’accès aux loisirs et à la culture. Cela nécessite une politique résolue, avec des exigences et des mesures concrètes pour les atteindre.
Le nationalisme identitaire préfère en faire une affaire culturelle, sinon civilisationnelle. C’est en cela qu’il flirte avec l’islamophobie, comme l’a fait récemment Lisée dans la course à la chefferie du PQ, agitant le chiffon du burkini et affirmant, sans rire, que le niqab et la burqa pouvaient servir de dissimulateurs de mitraillettes ! Il n’est probablement pas islamophobe, mais il a joué avec le feu, ce qui est irresponsable pour un homme politique occupant un poste stratégique. Une telle attitude ne conduit pas nécessairement à de l’islamophobie ouverte comme s’y livrent les organisations d’extrême droite, Front national, Québécois de souche et autres « meutes » d’ici qui en font leur principale raison d’être et leur mission première, mais elle l’encourage par sa complaisance.
L’approche identitaire implique une réduction de l’Autre à Soi, l’effacement de sa singularité, ce serait le prix à payer pour son intégration à une culture commune conçue comme étant foncièrement celle de la majorité dominante et non comme une réalité en transformation à travers les interrelations entre ses diverses composantes. On en vient à oublier ainsi que l’actuelle société québécoise ne ressemble plus guère à l’ancienne société canadienne-française dont certains entretiennent toujours une nostalgie revancharde.
L’intégration est un processus de longue durée, qui se déroule à travers la succession des générations. Au Québec, on a une longue expérience de ce phénomène qui a pris plusieurs visages, selon les périodes et les populations en cause, sans provoquer de traumatisme particulier. Et on ne voit pas pourquoi il n’en irait pas de même pour l’immigration arabo-musulmane sauf à considérer celle-ci, par essence et par nature, non intégrable. Et qui en est alors le juge ?