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Saguenay-Lac-Saint-Jean. Un sommet social régional inspirant
Dans le dossier du dernier numéro d’À bâbord ! consacré au Saguenay–Lac-St-Jean, nous accordions la parole à un collectif d’auteurs en train de préparer un sommet social régional. Depuis, cet événement a eu lieu. En voici une première analyse.
Vendredi 21 avril, 9 h, à la Boîte à bleuets d’Alma, 130 citoyen·ne·s et personnes représentantes d’organisations se sont présenté·e·s au rendez-vous. Si le but du Sommet était de « donner la parole à la société civile de la région pour établir une vision commune du développement de la région 02 », c’était bien parti. Je reconnais un député péquiste de la région, l’attaché politique du premier ministre Couillard, quelques préfets, maires et conseillers municipaux. Les élus ne sont pas nombreux, mais ils sont là, bien visibles. Les citoyen·ne·s et des représentant·e·s d’organisations à vocation sociale sont manifestement plus nombreux. Il y a des membres du Conseil central de la CSN, des représentantes de l’association des agricultrices de la région, des chercheurs, etc. Les organisateurs ont fait le choix d’inviter tout le monde. C’est souvent le même dilemme dans ce genre de rencontre citoyenne : doit-on se placer en mode réforme ou création de nouvelles structures ? Cette fois, les élus ont été invités et certains ont répondu à l’appel, ce qui n’est pas toujours le cas.
Une méthode rassembleuse
Les participantes et participants ont eu le choix entre 4 ateliers : lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale, économie solidaire et sociale, intervention communautaire et gouvernance participative régionale.
Pour les organisateurs du Sommet, la « gouvernance participative régionale » comporte plusieurs enjeux : équité femmes-hommes, réconciliation avec les Premières Nations, diversification de l’économie, partage des infrastructures collectives et déficit démocratique. Les personnes présentes ont tenu à ajouter le déficit démographique de la région comme enjeu supplémentaire.
Les ateliers se sont tous tenus de la même manière. Dans les premiers moments de la discussion, seul·e·s les participant·e·s qui avaient soumis un mémoire écrit avant la tenue du Sommet pouvaient prendre la parole. D’ailleurs, les organisateurs étaient fiers d’annoncer qu’ils avaient reçu 38 mémoires. Peu habitués à ce type de fonctionnement, certains élus ont eu du mal à se contenir. Puis, les autres participant·e·s étaient invité·e·s à poursuivre la discussion de manière à identifier :
A- les forces actuelles de la région ;
B- les opportunités et pistes d’action à explorer ;
C- les acteurs pouvant agir maintenant et leurs contributions.
Cette manière de faire a poussé les participant·e·s à se détourner plutôt rapidement de la simple exposition des embûches au développement de la région et, conséquemment, à s’intéresser à l’identification de pistes d’action pour le devenir de la région. Cette méthode a aussi permis de recenser rapidement les initiatives qui existent déjà au SLSJ ainsi que les personnes et organisations sur lesquelles elle peut compter. On s’est bien vite rendu compte qu’on ne partait pas à zéro, mais qu’il fallait aller plus loin pour assurer un meilleur développement régional.
Vers une gouvernance sociale régionale
Ainsi, au terme du Sommet, les participant·e·s se sont entendu·e·s sur des mandats, des valeurs et la structure à donner à cette « gouvernance sociale régionale » en plus de déterminer les étapes préliminaires à la réalisation de ce vaste projet.
De mémoire, les mandats de cette gouvernance seraient les suivants : le développement d’une vision commune des enjeux régionaux, la défense des intérêts de la région, le positionnement comme un interlocuteur auprès des paliers de gouvernements et la mobilisation de la population.
Cette instance non partisane et inclusive devrait refléter dans sa composition et son fonctionnement les valeurs d’équité, d’inclusion, de subsidiarité, de transparence, de collaboration, de respect, de développement social et durable. L’audace et la créativité seront aussi centrales.
Sa représentation sera multisectorielle : élu·e·s, institutions, secteurs d’activité, secteurs géographiques, jeunes, Autochtones, aîné·e·s, personnes issues de l’immigration, personnes en situation de handicap, en situation de pauvreté et d’exclusion sociale.
Voici en vrac quelques éléments identifiés par les participant·e·s qui seront à réaliser avant de mettre en place cette nouvelle structure : analyser ce qui se fait ailleurs en la matière, adopter une charte du développement social et durable, dialoguer avec les élu·e·s, solliciter l’appui des communautés, préparer des États généraux en 2018 et solliciter du financement.
Finalement, un comité de suivi de cette proposition composé d’une dizaine de citoyennes et de citoyens a été formé, illustrant ainsi une des conditions préalables à la réalisation du projet de gouvernance sociale régionale.
Si l’utilisation du terme « gouvernance » est un emprunt au discours néolibéral et surprenant dans un sommet citoyen, force est d’admettre que balisé de la sorte, le concept de « gouvernance sociale régionale » prend des allures tout à fait progressistes.
Pour une stratégie régionale concertée
À mon sens, le Sommet a été un véritable succès tant dans sa forme que dans ses actions. Ensemble, les participant·e·s ont notamment pris la mesure de l’urgence d’agir. Toutefois, je tiens à exprimer un certain bémol.
Avec la disparition des conseils régionaux des élus (CRÉ), nous ne savons pas avec exactitude si les élu·e·s ont toujours des lieux pour se parler entre eux et elles dans les régions, ni même s’ils et elles en éprouvent encore l’intérêt. Des élu·e·s de certaines municipalités qui bénéficient de plus de ressources (matérielles, naturelles, monétaires) pour se développer auraient peut-être avantage à jouer le jeu seul·e·s. Même si on pouvait critiquer les CRÉ, notamment pour le peu (pas) d’espace qu’ils octroyaient à la société civile, ils ont tout de même eu l’avantage de rassembler les municipalités et de regrouper les enjeux et les moyens. Visiblement, la volonté des néo-libéraux au pouvoir a pour effet de pousser les régions à s’occuper elles-mêmes de « leurs affaires » et à entrer en compétition entre elles. Comme si le devenir de la région du SLSJ ne concernait que la région elle-même, comme si ce n’était plus l’affaire de l’État et de l’ensemble des Québécois·e·s.
La tentation de l’autonomie régionale n’est plus seulement une des stratégies favorites du discours des élu·e·s qui dit que s’il avait plus de pouvoir et d’autonomie, il pourrait aller plus loin. Cette tentation, on l’entend aussi chez les citoyen·ne·s : « On doit s’organiser nous-mêmes, se prendre en main, se doter de nos propres impôts, revendiquer que nous soient accordée la gestion de NOS ressources naturelles, celles qui se trouvent sur NOTRE territoire ainsi que les redevances. » Devant tant de politiques contraignantes de la part de gouvernements qui appauvrissent les régions, les plaçant ainsi dans un état de quasi-survie, il est peut-être légitime de se sentir interpellé par un discours de prise en charge région par région et même municipalité par municipalité. C’est ce que j’ai entendu de la part de certain·e·s participant·e·s au Sommet. Toutefois, les dérives de cette stratégie sont évidentes. Il y aura des régions gagnantes alors que d’autres perdront. On constatera notamment une augmentation (ou le maintien) des inégalités sociales ainsi que des disparités régionales manifestes.
Il est encore possible d’éviter de sombrer dans ce « chacun pour sa région » : en rassemblant les forces des différentes régions afin de collectiviser les actions. Le désarroi qu’éprouvent des citoyennes et citoyens du SLSJ est similaire que celui éprouvé en Gaspésie et ailleurs. C’est pourquoi j’en appelle à un exercice démocratique dont le but serait non pas de créer des forces régionales indépendantes les unes des autres, mais UNE force nationale de défense des régions. J’espère un Sommet des régions pour mettre en place une telle gouvernance participative interrégionale. Je souhaite que l’initiative émane du Saguenay–Lac-Saint-Jean !