Dossier : Transition écologique. Le

Dossier : Transition écologique, le grand virage

Les pétrolières, fausses championnes de l’environnement

Claude Vaillancourt

Lorsque le président des États-Unis Donald Trump a voulu retirer son pays de l’Accord de Paris sur le climat, il a fait face à des opposantes inattendues : les compagnies pétrolières. Comment de si grandes entreprises qui ont intérêt à vendre le plus de pétrole possible ont-elles trouvé un intérêt à défendre un accord qui vise à en réduire la consommation ?

Ces compagnies ne sont d’ailleurs pas les seules à s’inquiéter du choix de Donald Trump. Plus de mille grandes entreprises ont signé une sorte de manifeste intitulé Business Backs Low-Carbon USA Statement qui lui demandent très clairement de respecter l’Accord de Paris. Parmi celles-ci, signalons Monsanto, Dupont, Dow Chemical, des compagnies qui ont un passé plus que lourd en matière d’atteintes à l’environnement. Même les charbonnières Peabody et Cloud Peak semblent s’inquiéter des effets du réchauffement climatique !

Si les entreprises les plus polluantes, et dont les actions sont les plus dommageables pour l’environnement, entrent dans la lutte contre le changement climatique, pouvons-nous donc concevoir un avenir rayonnant pour la transition écologique ?

Le cas ExxonMobil

L’actualité nous a ramené le cas particulier d’ExxonMobil et ses comportements contradictoires. « Ce qu’ExxonMobil ne nous a pas dit au sujet des changements climatiques » titrait par exemple Radio-Canada le 23 août. Dans les années 1970 et 1980, la compagnie ExxonMobil a engagé des scientifiques de haut niveau pour savoir si le changement climatique constituait un réel danger. Il ne pouvait y avoir qu’une seule réponse : oui, la Terre se réchauffe, et cela est relié en très grande partie à l’exploitation du pétrole par des entreprises comme ExxonMobil, la plus grande dans ce domaine. Que faire alors avec des informations aussi accablantes ?

ExxonMobil a choisi de nier cette réalité et d’aller même au-delà de cette négation. Elle a financé de la recherche tentant désespérément de prouver que les négationnistes avaient raison. Elle s’est payé de la publicité dans les grands journaux pour avancer que toute cette histoire de changement climatique était « incertaine ». Selon les chercheurs Thomas G. Farmer et John Cook, la compagnie aurait dépensé plus de 20 millions $ dans des think tanks pour faire croire que la consommation d’énergies fossiles n’était pas liée au réchauffement climatique [1].

ExxonMobil et les autres grandes compagnies pétrolières ont aussi investi de gros montants en lobbying, pour s’assurer que rien ne change dans leurs pratiques. Le résultat le plus spectaculaire de ce travail a sans aucun doute été le refus des États-Unis de signer le Protocole de Kyoto.

On peut prendre toute la mesure de la cupidité et du cynisme d’ExxonMobil, sachant qu’elle était consciente dès le départ des effets dangereux du réchauffement climatique et qu’elle a choisi de mentir éhontément à ce sujet. La compagnie n’a toujours pas fait de mea culpa pour avoir répandu de pareilles faussetés pendant de longues années. Et elle ose maintenant jouer la carte de l’entreprise socialement responsable.

Pour ExxonMobil, le changement est somme toute radical. Il a été confirmé lors d’un vote à l’assemblée des actionnaires du 31 mai 2017, contre l’avis de la direction qui jugeait que l’entreprise en faisait assez. L’assemblée a en effet voté à 62,3 %, en faveur d’une plus grande responsabilisation dans le but de réduire le réchauffement climatique à 2 0C.

Derrière les bonnes intentions

Le virage spectaculaire d’ExxonMobil montre bien à quel point la réalité du changement climatique et la nécessité de le combattre s’imposent. Les inquiétudes des populations — ou plutôt, à leurs yeux, de leur « clientèle » — sont bien réelles, et il devient risqué de ne pas en tenir compte. Une visite rapide des sites internet de quatre grandes pétrolières montre bien que les préoccupations environnementales sont au cœur de leurs opérations de marketing. À les croire, chacune d’entre elles se sent concernée par les questions environnementales et deviendrait presque disciple de leur vieil ennemi Greenpeace.

Par exemple, Total donne des conseils pour réduire la consommation d’essence et affirme que « répondre aux défis du changement climatique » est au cœur de sa stratégie. Shell lance l’affirmation suivante : « Nous mesurons l’importance du changement climatique et avons conscience du soutien que nous devons apporter aux populations pour les aider à obtenir et à maintenir une bonne qualité de vie.  » Imperial Oil, filiale d’ExxonMobil au Canada, a des préoccupations tout aussi nobles : « Nous nous sommes engagés à exploiter de façon responsable les ressources de notre pays, et à réduire notre impact sur l’air, la terre et l’eau.  »

BP a une section particulièrement développée sur la « durabilité ». N’oublions pas cependant qu’elle a été responsable d’une des pires catastrophes environnementales des dernières années, à cause d’une fuite de près de 5 millions de barils de pétrole dans le golfe du Mexique en 2010. Elle milite maintenant pour mettre un prix sur le carbone, pour les énergies renouvelables, et démontre à quel point elle s’attaque au problème du changement climatique depuis 1997.

Un examen plus attentif permet d’entrevoir comment s’incarnent ces bonnes intentions. L’un des engagements les plus visibles de ces entreprises pétrolières est d’exploiter le gaz naturel, considéré comme une énergie de transition, nettement plus propre que le pétrole et le charbon. Shell affirme que l’exploitation du gaz équivaut aujourd’hui à plus de la moitié de sa production. Exxon vient d’investir 10 milliards de dollars dans la création d’une usine d’éthylène (un gaz naturel) au Texas. Selon le journal Les Échos, « la part du gaz naturel continue de progresser chez les majors : elle a atteint 48,7 % de la production d’hydrocarbures chez Total, 42,5 % chez ExxonMobil ». Et cette progression ne semble pas s’arrêter.

Pourtant, le gaz naturel n’est pas l’énergie propre qu’on essaie de nous vendre. Les fuites nombreuses, surtout dans l’exploitation du gaz de schiste, produisent de grandes quantités de gaz à effet de serre. Son transport n’est pas sans risques. De plus, il s’agit d’une ressource non-renouvelable dont certaines formes d’exploitation peuvent être dommageables, comme l’ont prouvé certaines luttes environnementales contre les ports méthaniers ou contre le gaz de schiste.

Les grandes entreprises pétrolières proposent aussi d’autres solutions discutables, dénoncées par les environnementalistes, pour lutter contre le changement climatique, comme le biocarburant, qui gaspille de bonnes terres et utilise d’énormes quantités d’eau et d’énergie pour sa production. Le captage et le stockage de carbone sont aussi considérés comme une solution incertaine et très risquée, selon Greenpeace, entre autres [2].

Opération de marketing ou réelle avancée ?

Il faut aussi reconnaître les limites du militantisme des grandes compagnies pétrolières en se rappelant bien ce qu’elles ont toujours défendu. Les accords de libre-échange, par les mécanismes de règlement des différends qu’on y inclut, leur donnent la possibilité de s’attaquer à toute règlementation environnementale qui pourrait limiter leurs profits. L’Accord de Paris leur convient très bien puisqu’on n’y trouve rien de juridiquement contraignant et rien pour entraver les forces du marché qu’elles contrôlent par l’oligopole qu’elles forment. De plus, elles ne se sont toujours pas opposées aux projets d’oléoducs qui permettront de transporter le pétrole très polluant des sables bitumineux sur des milliers de kilomètres.

La transition écologique ne viendra donc pas des compagnies pétrolières, malgré leurs belles paroles. Mais leur discours environnementaliste, même s’il est creux et axé sur de mauvaises solutions, reste beaucoup mieux que le négationnisme qu’a soutenu ExxonMobil pendant des années. Il montre que la réalité des changements climatiques ne permet plus de tergiversations et engage toutes les entreprises et tous les individus. Il est la preuve d’importants progrès dans la réflexion, en grande partie grâce aux actions des environnementalistes.

Tout cela demeure malheureusement bien imparfait et il n’est certes pas possible de considérer les grandes entreprises pétrolières comme des alliés objectifs. Le démantèlement de leur oligopole permettrait d’importantes avancées, d’accélérer considérablement la transition écologique. Comme ce changement n’est pas prêt de se produire, il est donc nécessaire de continuer à faire pression sur ces entreprises, une recette qui a tout de même donné d’indéniables résultats, encore nettement insuffisants toutefois.


[1Dans Climate Change Science : A Modern Synthesis Volume 1 - The Physical Climate, 2013.

[2Dans Faux espoir, pourquoi le captage et le stokage du carbone ne sauveront pas le climat, 2008.

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