Je vote pour la science. Entrevue avec Isabelle Burgun

Dossier : Sciences engagées

Dossier : Sciences engagées

Je vote pour la science. Entrevue avec Isabelle Burgun

Isabelle Burgun, Yannick Delbecque

Je vote pour la science est une émission de radio hebdomadaire diffusée sur les ondes de Radio Ville-Marie. Elle est issue d’une coalition du même nom et diffuse des idées sur les rapports entre mondes scientifique et politique. 

Entrevue avec Isabelle Burgun, animatrice de l’émission radio Je vote pour la science. Propos recueillis par Yannick Delbecque.

À bâbord ! : La coalition Je vote pour la science est née en 2008 avec une pétition appelant les partis politiques fédéraux et provinciaux à participer à des débats sur la science lors des élections. Comment a évolué l’initiative depuis ses débuts ? 

Isabelle Burgun : Cette pétition était une initiative de l’Agence Science-Presse, inspirée de Science Debate, une action similaire aux États-Unis. Elle a rapidement mené à la formation d’une coalition de différentes organisations importantes comme l’Association francophone pour le savoir (ACFAS). Les revendications de la coalition s’articulaient en trois axes principaux : l’importance de politiques publiques appuyées sur la science et sur des données scientifiques, la nécessité de créer et de maintenir un dialogue entre mondes scientifique et politique et enfin la nécessité pour les scientifiques de faire entendre leurs voix dans les débats publics. Ces trois axes sont restés au cœur de la mission de Je vote pour la science. 

L’initiative a permis la tenue de débats politiques sur la science dans différentes universités. Lors des élections fédérales de 2011 et des élections provinciales de 2012, nous avons envoyé un questionnaire aux principaux partis, qui ont ensuite participé à des débats publics. Les questions portaient sur des enjeux qui sont toujours d’actualité : le vieillissement de la population et son impact, les ressources naturelles et l’environnement, l’effritement des compétences et la perte d’expertise de l’État dus au recours à la sous-traitance, ou encore la montée d’une conception marchande des universités.

Je vote pour la science continue sa mission. Aux élections provinciales de 2018, nous avons organisé un débat au sujet de la santé avec deux infirmières qui se portaient candidates et nous avons couvert un débat intitulé « Le climat, l’État et nous » organisé par des scientifiques et portant sur les changements climatiques.
 

ÀB !  : Peut-on aujourd’hui considérer que la science occupe davantage de place dans l’espace politique qu’aux débuts de Je vote pour la science ? 

I. B.  : À nos débuts, nous abordions beaucoup la politique fédérale, un peu la politique provinciale, mais très peu de ce qui se passe au palier municipal. 

Je constate que les enjeux municipaux occupent maintenant beaucoup plus d’espace. Cela est notamment dû au fait qu’il y a davantage de regroupements citoyens qui veulent faire entendre leur voix concernant l’environnement et la pollution. Leur visibilité médiatique grandissant, les gouvernements ne peuvent plus rester sourds à leurs critiques.

Je vote pour la science s’est rapproché des citoyen·ne·s et de leurs préoccupations, donc de ces mouvements qui agissent souvent au palier municipal. On parle par exemple d’agriculture urbaine, de pollution sonore, des conséquences de la présence de plomb dans l’eau, de la pollution de l’air à Montréal-Est. On essaie, à tous les niveaux politiques, d’être un relais pour la science et un lieu de discussion de ces enjeux en invitant intervenants politiques et scientifiques. 

La question de la désinformation est elle aussi devenue plus présente dans les dernières années. Nous avons fait quelques émissions traitant de la présence des fausses nouvelles, même de celles issues du monde scientifique, car il faut aussi se méfier de certains scientifiques qui prennent des positions basées davantage sur leur opinion que sur des faits. Si on n’a pas l’expertise sur un sujet donné, parfois il vaut mieux s’abstenir, plutôt que de risquer de faire de la désinformation. 

ÀB !  : Quels obstacles rendent difficiles ce lien entre les mondes scientifique et politique ?

I. B. : Le temps et la volonté sont les principaux obstacles. Du côté du monde politique, le fait d’avoir trois paliers de gouvernements complique le fonctionnement et, par ricochet, la création de ce lien entre science et politique. De plus, les politicien·ne·s ne veulent pas toujours participer aux discussions organisées par Je vote pour la science, surtout si un sujet est délicat. 

Les scientifiques ont aussi peur de s’exprimer. Celles et ceux qu’on invite refusent parfois de participer, pour différents motifs. Par exemple, si on aborde la question des choix politiques en matière de financement de la recherche, les scientifiques sont généralement beaucoup moins enclins à prendre la parole. On peut penser que c’est parce s’exprimer publiquement ressemblerait trop à une forme de reddition de compte, d’évaluation publique des travaux de recherche réalisés. On peut aussi avoir peur de perdre une subvention publique ou de subir des répercussions sur sa réputation. Enfin, comme le temps consacré à la vulgarisation n’est pas forcément reconnu ou rémunéré, on ne juge pas nécessairement prioritaire de mettre son expertise scientifique au service du bien commun. Entre de lourdes demandes de subventions, l’enseignement, l’encadrement des projets de recherche des étudiant·e·s, les scientifiques disposent de peu de temps pour l’engagement politique ou pour agir pour le bien commun. 

ÀB ! : Est-ce que les scientifiques acceptent davantage de participer à des débats publics aujourd’hui que quand votre émission a été lancée ? 

I. B. : Les scientifiques restent encore beaucoup dans leurs tours d’ivoire, mais depuis quelques années elles et ils comprennent mieux comment fonctionnent les médias et apprécient mieux l’importance d’y prendre leur place. Les années Harper ont été des années noires pour la science tant il y a eu de musellement de scientifiques, de coupes dans le financement de la recherche, de reculs dans la science du climat. Cela a mobilisé le monde scientifique comme jamais : les scientifiques ont compris l’importance de faire entendre leur voix. La science n’a pas de voix par elle-même, et c’est pourquoi les scientifiques et les communicateur·trice·s scientifiques doivent prendre la parole pour la défendre et parler de ses enjeux sur la place publique. Le Québec compte d’ailleurs une centaine de vulgarisateur·trice·s chevronné·e·s, réuni·e·s dans l’Association des communicateurs scientifiques du Québec, qui font connaître les découvertes scientifiques et doivent placer ces enjeux dans une perspective politique et sociétale. 

Une certaine réticence des scientifiques à s’exprimer publiquement s’expliquait sans doute par une frustration quant à la manière dont leur parole était rapportée dans les médias, une crainte de voir leurs propos déformés de manière à donner l’impression qu’ils et elles disaient des choses scientifiquement inexactes. Avec les réseaux sociaux et Internet, il est maintenant très facile pour les scientifiques de prendre directement la parole, sans intermédiaire. Il y a maintenant beaucoup de scientifiques, particulièrement des jeunes, qui se tournent vers la vulgarisation. 

Cette volonté de prendre la parole peut aussi avoir un lien avec la recherche de financement. Plusieurs scientifiques se sont rendu compte que si elles et ils souhaitent du financement public, leur travail doit être mieux compris par le public ! D’ailleurs, comme il y a beaucoup de recherches subventionnées par des fonds publics, les citoyen·ne·s veulent aussi savoir où et comment cet argent est dépensé. Cette volonté d’avoir plus de transparence est cependant à double tranchant : avoir trop de comptes à rendre en science n’est pas nécessairement souhaitable. Pour obtenir du financement pour un projet de recherche scientifique, on doit déjà passer énormément de temps à préparer des documents pour en démontrer l’utilité, ce qui peut limiter le temps disponible pour faire de la science. 

ÀB ! : Est-ce que la science trouve aujourd’hui sa place parmi les différents enjeux politiques ? 

I. B. : On parle évidemment beaucoup de la COVID depuis 2020 ! La Santé publique communique davantage au sujet de la science associée à la pandémie. Plus généralement, on parle beaucoup de santé, de climat et d’environnement. D’ailleurs, la question des changements climatiques est très importante, mais elle fait de l’ombre à plusieurs autres enjeux où la science doit éclairer des décisions qui ont un impact sur toustes. Par exemple, comment le gouvernement élabore-t-il ses plans pour le vieillissement ? Est-ce que les décisions en ce domaine sont scientifiquement fondées ? Est-ce qu’on soutient adéquatement la recherche concernant le vieillissement ? 

Il est important d’expliquer la science à tous et toutes, mais aussi d’expliquer de quelle manière elle intervient dans la vie des gens afin que tout le monde puisse se questionner sur son impact. On a de magnifiques émissions de vulgarisation scientifique comme Découverte et Les années lumières, qui sont plaisantes et instructives. On peut cependant se demander si, bien que ces émissions constituent de bonnes occasions d’apprentissage, la réflexion sur les sujets qui y sont traités reste trop éphémère. Est-ce que la curiosité suscitée ira au-delà de l’émission ? Est-ce qu’on ira jusqu’à inciter à établir un lien entre les informations scientifiques présentées et les choix que les gens ont à faire ?

ÀB !  : Est-ce qu’élu·e·s et partis politiques ont des positions réfléchies concernant les conditions dans lesquelles la science est produite, notamment concernant le financement de la recherche ? »

I. B. : Il y a des promesses de financement, en particulier pour les jeunes scientifiques qu’on souhaite garder au pays. Cependant, un bon nombre de politicien·ne·s manquent de culture scientifique ou ne connaissent pas bien le fonctionnement de la recherche scientifique. Par exemple, si on mentionne fièrement une découverte « canadienne » ou « québécoise », on ne tient pas vraiment compte des multiples collaborations internationales qui y ont mené. On exprime aussi des attentes irréalistes quant aux retombées de certaines recherches, en espérant des résultats trop rapidement. 

Le monde politique associe d’ailleurs beaucoup la recherche scientifique avec les nouveautés industrielles, mais les sciences sociales sont généralement laissées de côté. Il faut d’ailleurs noter que les ministères fédéraux et provinciaux responsables de la recherche ont les mots « innovation » ou « industrie » dans leurs noms. La science doit se développer à long terme et pas uniquement avec des visées pratiques immédiates. 

Les investissements sont souvent ciblés afin de résoudre des problèmes comme les changements climatiques, la diminution de la biodiversité, etc. On cherche des solutions technologiques, mais de véritables solutions ne peuvent pas être trouvées sans réflexion. Il y a par exemple un projet de recherche à l’Université de Sherbrooke où on vise à créer un robot pour s’occuper des personnes âgées. C’est utile et intéressant, mais cela passe à côté de questions plus fondamentales : pourquoi ces personnes en sont-elles venues à être tellement isolées qu’il nous faut des robots pour les aider ? Quels moyens la société doit-elle se donner pour éviter ce genre de situation ? La solution n’est pas nécessairement « industrielle ». On a d’ailleurs décidé, à l’émission, d’avoir plus souvent des invité·e·s œuvrant en sciences sociales pour commenter des sujets comme les changements climatiques. 

ÀB ! : Comme autrice d’articles de vulgarisation, comment évalue-t-on ce qui est une bonne vulgarisation scientifique ? 

I. B. : Une bonne vulgarisation doit être bien comprise par ses lecteur·trice·s ou auditeur·trice·s. Il faut pouvoir relier les nouvelles idées avec ce que les gens connaissent déjà. Une bonne vulgarisation n’est pas simpliste : on prend le temps d’y expliquer les termes ou concepts plus complexes tout en s’assurant qu’ils soient compris. Le ou la journaliste scientifique est un relais, pas une simple courroie de transmission. Elle ou il remet en contexte l’information scientifique pour qu’elle soit plus « parlante » pour un public donné, pour que ce public puisse la connecter avec sa vie. 

À trop vouloir créer de la fascination pour la science, on peut perdre de vue la nécessaire proximité avec la vie du public. On peut aussi perdre de vue que la science est quelque chose qui est fait par des humains : c’est le fruit de la pensée humaine, de l’énergie et de l’argent investi. S’il faut parfois mettre un certain effort pour comprendre la science, même vulgarisée, les scientifiques doivent aussi prendre le temps de l’expliquer. 

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