Mini-dossier : Droits des enfants
Entretien : La parole aux enfants
Comment traiter du droit des enfants à s’exprimer librement et à participer à la vie citoyenne sans prendre le temps de les entendre ? Nous avons réuni cinq enfants de dix ans pour connaître leurs opinions sur les droits qu’ils et elles possèdent et sur ce que nous, les adultes, pourrions faire pour améliorer le respect de tous ces droits.
Les enfants présent·e·s à cette discussion ont une connaissance générale de leurs droits définis dans la Convention de l’ONU. Parmi ceux qu’ils et elles sont en mesure de reconnaître, il y a les droits au jeu (« droit de sortir jouer dehors »), à l’éducation (« droit d’apprendre et d’aller à l’école ») et à l’affiliation et au bien-être (« droit d’avoir de bons parents et un bon foyer »). Ce dernier droit est d’ailleurs celui qui semble le plus important pour le groupe : « Si on n’avait pas ces droits-là, si tu ne peux pas avoir de maison, si tu ne peux pas être aimé, ça servirait à quoi de vivre ? Le bonheur de la vie, c’est de se faire aimer et d’aimer les personnes qui t’entourent. »
Le groupe montre aussi une bonne conscience des inégalités en matière de respect des droits des enfants : ces inégalités existent entre le Canada et d’autres pays du monde, mais aussi entre les enfants au Canada.
Après ce tour de table permettant de valider leurs connaissances, nous avons discuté avec les enfants d’autres droits qu’ils et elles ne connaissaient pas, soit les droits à la participation citoyenne et à la liberté d’expression.
Le droit de s’exprimer
Le droit à la liberté d’expression est défini dans la Convention comme le droit de l’enfant d’exprimer son opinion et d’être consulté·e sur toute question suscitant son intérêt ou le concernant. La première réaction du groupe, après cette explication, est une critique générale du rapport des adultes à la parole des enfants : « Les adultes, quand on s’exprime, des fois, ils ne nous prennent pas au sérieux. Des fois, ils ne nous croient pas, ils pensent que c’est vraiment moins pire que c’est. Eux, ils décident de ne pas nous écouter et de ne pas nous croire. Ils pensent qu’on exagère ou qu’on dit des niaiseries. »
Cette absence d’écoute est aussi présente quand les adultes demandent explicitement l’opinion des enfants. Les enfants du groupe n’ont pas l’impression que leur parole compte : « Des fois, on nous demande notre opinion, mais on ne la respecte pas. C’est niaiseux, ils [les adultes] nous demandent d’exprimer notre opinion et nos émotions et quand on arrive pour le faire, qu’on a confiance qu’ils nous écoutent, ils ne nous écoutent pas. Des fois, ils nous écoutent, et ils disent qu’ils vont faire quelque chose (“ok, on va écrire à la secrétaire”), mais ils ne le font pas. Ils oublient ou ils croient que ça n’en vaut pas la peine. »
Même s’il est du devoir des adultes de demander l’avis des enfants sur les questions les concernant, il semble que très peu d’adultes autour d’eux et elles ont conscience que les enfants possèdent ce droit. Les enfants présent·e·s à l’atelier trouvent rares les occasions où des adultes en position d’autorité leur demandent leur opinion, mis à part leurs parents. Par exemple, ils et elles racontent que, dans l’ensemble de leur parcours scolaire, une seule enseignante a mis des efforts particuliers pour faire de sa classe un espace démocratique où les enfants ont le droit de s’exprimer et, surtout, où leurs recommandations sont appliquées.
Le droit à la participation citoyenne
Pour poursuivre la discussion, nous abordons le droit des enfants à la participation citoyenne, qui découle du droit à la liberté d’expression. À quoi sert ce droit si les idées des enfants consultées ne sont jamais appliquées ? Alors, comment les adultes peuvent-ils assurer aux enfants la participation citoyenne ? La première réponse offerte par les enfants est de créer des lieux uniquement pour les enfants, afin que ceux-ci et celles-ci en fassent ce que bon leur semble ; un espace dédié à leur créativité où ils et elles pourraient se rassembler pour discuter. Cela a du sens, sachant que la Convention définit aussi le droit des enfants à la réunion pacifique. Pour eux et elles, ces espaces devraient allier le jeu, l’art et le débat démocratique.
Concrètement, à quoi serviraient ces espaces : « À se libérer ! » répond le groupe, enthousiaste. Et qu’est-ce que ça veut dire se libérer ? « Montrer au monde qu’on a besoin de vivre ! » « Ça serait une place autant pour les petits enfants et les grands enfants parce que ce n’est pas les mêmes choses qu’on aime faire. Ça serait aussi une place où on pourrait s’exprimer et où les adultes viendraient nous écouter. » « Ça serait un espace beau, qu’on pourrait décorer comme on veut avec des dessins et du coloriage. Ça serait un espace où les enfants se libéreraient après l’école, ils pourraient aller se lâcher là et ça serait parents interdits ! Pas de parents ! Ça serait comme les bars où nous, on ne peut pas aller ! »
Autant d’idées concrètes et pertinentes méritent qu’on leur accorde de l’importance. Ce qui est dit, ici, c’est que ces enfants se sentent interpellé·e·s par la vie culturelle et citoyenne de leur milieu et ont envie d’y contribuer.
Le droit de vote
Nous poussons plus loin nos réflexions en abordant le droit de vote pour les enfants. Pourquoi les enfants n’ont-ils pas ce droit ? « Peut-être qu’ils [les adultes] ont peur qu’on fasse n’importe quoi, ils croient qu’on n’a pas d’information, qu’on ne sait rien de ce qui se passe dans le monde et qu’eux, ils vont faire des meilleurs choix. Mais peut-être que plutôt que de nous empêcher de voter, il pourrait nous l’expliquer, comme ça on pourrait mieux comprendre. » « Moi, je lirais et je m’informerais. Je veillerais à voter pour une bonne personne. Mais ils trouvent qu’on est trop petits, alors ils ne nous font pas confiance. Ils ont la crainte qu’on fasse n’importe quoi. C’est comme on disait tantôt, on ne nous écoute pas, et quand on nous écoute, on ne nous prend pas au sérieux. » Ils et elles sont tout à fait conscient·e·s du niveau d’implication requis pour assumer de telles responsabilités.
Ils et elles imaginent un système démocratique en phase avec leur réalité : « Ça serait cool que notre place sans parents soit aussi pour que les enfants puissent voter. On pourrait voter pour les enfants qu’on veut qui nous représentent, et les adultes viendraient nous parler dans notre espace des fois pour voir comment on va et qu’est-ce qu’on a besoin. Les enfants élu·e·s n’iraient pas au conseil de ville pour parler et qu’ils savent tous les sujets qui se passent dans la ville, mais juste être en contact avec le maire et de pouvoir donner une fois par semaine l’opinion des enfants. Comme ça, ils seraient obligés de nous écouter, ça serait comme si on avait un président. Le président de l’enfance, genre. » Le groupe revendique son droit à la liberté d’expression ainsi que son droit à participer à la vie culturelle, citoyenne et politique de leur milieu en créant un espace démocratique leur appartenant, où le jeu et la créativité sont au cœur du processus citoyen qu’ils et elles imaginent. Allons-nous les entendre ?