Dossier - Changer le monde : où allons-nous ?
La démocratie, radicalement
Quel rôle devrait jouer le mouvement syndical québécois s’il doit contribuer de nouveau à changer le monde ou, plus modestement, à replacer le Québec sur le chemin du progrès social ?
Qu’est-ce qui lui permettrait de cesser de faire du surplace pour enfin sortir de la logique de préservation d’acquis dans lequel il se cantonne depuis maintenant plus de 30 ans ? Surtout, comment pourrait-il contribuer à la construction d’un projet commun et que devrait-il proposer comme socle sur lequel construire ce projet ?
Certains suggèrent qu’il faut aller au-delà d’un simple réinvestissement étatique et proposent donc de penser un projet qui se développerait en marge de l’État. Ainsi libéré, en quelque sorte, de celui-ci, il y aurait espoir de briser les rapports qui permettent et soutiennent le démantèlement néolibéral. À notre avis, il s’agit plutôt de réinvestir l’État social pour accentuer sa forme démocratique.
Une attaque néolibérale
Le modèle social québécois, misant sur un État social fort, s’est constitué à partir de la Révolution tranquille et a permis de développer une société qui a mieux réussi à résister au saccage néolibéral que plusieurs autres. C’est la force des mouvements sociaux, notamment des syndicats, qui a permis de développer un modèle où les programmes sociaux viennent en aide à de larges pans de la population et où la participation citoyenne s’est inscrite comme un élément central de plusieurs institutions, que l’on pense par exemple aux centres locaux de services communautaires (CLSC).
Si les syndicats et l’ensemble des mouvements sociaux sont parvenus à mettre des freins dans le projet de marchandisation du secteur public, notamment en forçant l’élite capitaliste à plusieurs replis, ils n’ont toutefois pas su résister à un fondement politique majeur du projet néolibéral, à savoir l’affaiblissement de la démocratie et l’élimination progressive de toute forme de participation citoyenne.
Illustration : Coalition main rouge
Tout concourt pourtant à lutter radicalement contre cette attaque en règle contre la démocratie, laquelle rend plus manifeste que jamais les lacunes de notre démocratie politique. Cette reconfiguration néolibérale décidée dans les arcanes du pouvoir, transformant fondamentalement le visage de notre société, n’a en aucun moment obtenu l’aval démocratiquement exprimé de la majorité des Québécoises et Québécois.
La dernière vague de mesures austéritaires et antidémocratiques a permis de lever tout doute possible, alors que l’actuel gouvernement, s’étant fait élire en promettant exactement le contraire de ce qu’il accomplit maintenant, a tôt fait d’éliminer les processus de participation citoyenne et contre-pouvoirs dans tous les secteurs, de la santé à l’éducation en passant par le développement régional et autres. À notre avis, plus que les compressions budgétaires et les ouvertures à la marchandisation, c’est cette attaque à la démocratie participative et le mépris de nos institutions démocratiques actuelles, déjà déficientes, qui représentent la plus grande menace au modèle québécois.
Un projet d’État social
Pour retrouver la voie du progrès social, nous croyons que le mouvement syndical se doit de répliquer à ce projet concerté d’atteintes aux contours démocratiques de notre État social. La lutte pour une meilleure justice sociale passe nécessairement par la prise en compte de l’aspect antidémocratique du projet néolibéral, détruisant méthodiquement tous les contre-pouvoirs d’un côté et s’appuyant de l’autre sur un mode de scrutin dysfonctionnel pour maintenir ses promoteurs au pouvoir. Loin d’être le moment d’abandonner l’appareil d’État aux mains de technocrates et d’une poignée de politicien·ne·s dénué·e·s de légitimité, c’est plus que jamais pour nous le moment de réinvestir cet État social pour le rendre véritablement démocratique.
L’intérêt pour le développement de nouvelles alternatives politiques ne doit donc pas nous amener à tourner le dos complètement au sort de l’État, sans quoi l’élite néolibérale pourra continuer de l’utiliser à ses fins. Réinvestir l’État social, c’est donc travailler à un État qui misera sur la participation citoyenne et favorisera l’élaboration d’initiatives citoyennes de toutes sortes. Pour les mouvements sociaux, consolider des lieux d’expression démocratiques au cœur des mécanismes de l’État est le meilleur moyen pour faire perdurer des gains sociaux.
Ce projet de démocratisation radicale ne doit cependant pas se cantonner à la question de l’État comme prestataire de services, mais aussi en tant que législateur. La lutte aux inégalités sociales par une fiscalité progressiste, la revendication d’un salaire minimum à 15 $ de l’heure et la démocratisation des milieux de travail sont autant d’aspects et d’exemples de la nécessaire démocratisation du cadre des relations de travail que permettrait une refonte de certaines législations.
Une lutte syndicale et politique
C’est pourquoi nous appelons le mouvement syndical et l’ensemble des mouvements sociaux québécois à mener une lutte radicale contre toutes formes de reculs démocratiques et en faveur du renforcement de notre démocratie.
Cette lutte doit d’abord prendre forme au sein même du mouvement syndical, alors qu’une profonde révision des processus délibératifs et décisionnels doit être menée à l’intérieur des organisations syndicales, favorisant ainsi le développement d’une forte culture démocratique parmi les travailleurs·euses syndiqués. La formation, le dialogue et l’éducation politique entre les membres des organisations syndicales deviennent primordiaux pour atteindre ces objectifs, mais aussi pour les partager largement.
Collectivement, il nous faut par ailleurs régler rapidement la question du mode de scrutin, en exigeant par la construction d’un réel rapport de force face à des élites politiques réticentes la mise en place d’un système proportionnel mixte, qui rapprocherait de manière importante le pouvoir de la population et des groupes qu’elle forme. Ce gain représenterait un tournant vers l’émergence d’une culture démocratique forte et étendue. Pour parvenir à ce gain social majeur, les organisations syndicales doivent envisager d’avoir recours à l’ensemble des moyens d’action permettant d’établir un réel rapport de force. Cette lutte devrait ainsi être priorisée et placé au cœur d’une convergence des actions syndicales.
Il nous faut aussi exiger avec force l’instauration d’une gestion publique démocratique de tous les services publics, dans tous les secteurs. C’est de cette façon que nous pourrons collectivement mettre un terme à la marchandisation des services publics. Puisque le projet que portent le mouvement syndical et les autres forces de changement social va réellement dans l’intérêt général du peuple québécois, nous ne devons pas hésiter à œuvrer pour rapprocher ce pouvoir du peuple.
À défaut de répondre vigoureusement à l’élimination des contre-pouvoirs et processus de participation citoyenne, les organisations syndicales pourraient bien être les prochaines visées par les attaques néolibérales.