Dossier - Changer le monde : où allons-nous ?
Le retour vers soi
Je reprendrai les anguilles / Les redonnerai à la mer / Et je redeviendrai le pays que mes ancêtres / Ont bâti jadis sur les abords du fleuve.
Un retour aux philosophies traditionnelles est nécessaire à la réappropriation de la culture de nos peuples et donc à la réappropriation des territoires au sein desquels nos identités se sont formées. La lutte autochtone se définit en grande partie par la défense de l’identité, de la culture, du territoire, de l’héritage légué par les prédécesseurs, ce qui est mis en danger par les politiques gouvernementales actuelles.
Le portrait des luttes autochtones du Québec est difficile à dresser. Ces luttes ne cessent de changer, selon l’évolution de nos communautés. Elles concernent aussi de plus en plus les projets d’exploitation des ressources naturelles défendus entre autres par le gouvernement du Québec.
On m’a demandé une première fois de réfléchir sur ces luttes lors d’une conférence à New York, en mai 2016. J’étais alors intéressée par les luttes environnementales menées par des Haïda ou des Cris ailleurs au Canada, et j’assistais à des débats soutenus par d’autres activistes autochtones en opposition à des projets de pipeline tels Kinder Morgan, Burnaby Mountain et Énergie Est. Ces résistances, fortes et organisées, étaient appuyées par un discours clair et solide, inspiré par les philosophies traditionnelles tout en mettant de l’avant la modernisation des traditions des peuples autochtones. Ici, au Québec, j’ai l’impression que nous sommes encore loin de parvenir à nous rassembler autour d’une identité partagée qui stimule une telle résistance.
Pour les peuples autochtones, l’identité est clairement liée à l’environnement. Une réelle réflexion sur la relation entre le territoire et l’identité a été stimulée par une poésie autochtone bien vivante, qui ne craint pas d’aborder certains débats de société. Il est important pour nous d’entretenir ces réflexions, surtout si nous voulons être de véritables héritiers du territoire sur lequel nous (sur)vivons. Dans mes recherches, j’ai pu percevoir la démarcation entre la pensée linéaire, rationaliste, qui régit la société occidentale et la pensée circulaire, holiste, qui détermine la façon d’être des individus des sociétés autochtones (en reconstruction).
Jamais il n’a été clairement dit dans les derniers siècles et encore moins dans les dernières années que nous aurions pu profiter de ce qui différencie les peuples autochtones et le peuple québécois pour nous enrichir mutuellement.
Cela ne signifie pas qu’il y ait incompatibilité entre nos peuples, au contraire. Mais pour réussir à créer une société où la place des uns est (enfin) égale à la place des autres, il faut qu’il y ait reconnaissance de nos particularités pour que ces dernières soient complémentaires plutôt qu’obstacles dans la conversation que nous devons engager.
Nous avons besoin qu’il y ait réellement un pouvoir d’auto-détermination qui soit clairement établi par les peuples autochtones et leurs membres, pour qu’une réelle et sincère relation de nation à nation soit créée en bonne et due forme, selon la logique d’une politique organique inspirée et instaurée par les individus eux-mêmes, et non par les dirigeants.
Chez les Premières Nations, du moins selon nos traditions, le chef est choisi pour sa personnalité et ses capacités relationnelles. Il doit parvenir à maintenir un équilibre entre les différents groupes et intérêts au sein de la collectivité, à chercher le consensus et à favoriser un climat permettant des relations saines entre les individus. Un retour à cette tradition passera par la redéfinition de ce qui a été modifié par le système institutionnel imposé dans les communautés lors de la création du Canada. Et si ce retour peut être mené humblement par un leader choisi par sa communauté, nous entrerons alors dans un réel processus de décolonisation.
Car on ne peut définir les luttes autochtones sans aborder préalablement les effets de la colonisation. S’il n’y a plus d’agressions délibérées de la part du gouvernement fédéral, ou encore d’autres groupes ou niveaux de gouvernement, les conséquences issues de ces politiques coloniales sont toujours pesantes au sein de nos communautés.
Les peuples autochtones ont été affectés par des événements historiques douloureux qui ont affaibli leur capacité à se défendre : les dépossessions territoriales, la création des réserves, la spoliation de leur territoire pour l’exploitation des ressources naturelles, les enfants envoyés de force dans des pensionnats, l’interdiction de circuler dans le territoire occupé par la société dominante, l’évangélisation, la corruption politique, la mainmise de l’État sur l’organisation sociale des peuples autochtones.
Ces expériences, vécues de façons diverses selon les peuples et les individus, marqueront à long terme le positionnement politique et l’identité des premiers peuples, avec les divisions qu’elles provoquent et qui s’ensuivent. Nous pouvons le constater avec le Regroupement Petapan (Mashteuiatsh, Essipit, Nutashkuan, 2016). Trois conseils de bande de la nation Innue veulent établir un traité avec le gouvernement provincial qui favorisera l’autonomie gouvernementale, l’achat par le conseil de ses droits territoriaux de chasse et pêche, donc le développement des communautés. Cependant, dans la déclaration du Regroupement, toutes les communautés Innues ne sont pas incluses. Cette division consciente de la Nation (qui était en processus d’unification depuis de nombreuses années) va à l’encontre de la philosophie traditionnelle Innue. De plus, la revendication de droits sur les terres des réserves pour la chasse et la pêche (régies par le gouvernement fédéral) ne concerne que le conseil de bande, et non les chasseurs et trappeurs de la communauté de Mashteuiatsh, dont certains ont émis une opposition claire à ce traité à laquelle le conseil de bande a fait la sourde oreille.
La crise d’Oka est l’une des luttes autochtones qui a le plus marqué l’imaginaire des Québécois·es. Vingt-six ans plus tard, aucun débat ou réflexion allant au-delà d’une simple narration des événement n’a été fait, empêchant une reconnaissance concrète des conséquences palpables de la crise. Pour le bien-être des peuples autochtones, mais également pour celui de la société québécoise, nous devons, Autochtones et Québécois·es, réclamer qu’un débat se fasse sur cette crise, dans les médias, de la part des dirigeants, intellectuels et artistes, afin de panser les blessures qui en ont résulté.
L’autodétermination et le retour aux philosophies traditionnelles seront de mise pour organiser une résistance solide aux tendances centralisatrices de l’État. Cette résistance se fera sans violence ni agressivité. Nous devons nous unir pour préserver ce qui a survécu à l’évangélisation, à l’assimilation et au génocide. L’espoir engendré par une résistance soutenue alimentera alors l’inventivité légendaire de l’Autochtone qui créera de nouveaux outils pour favoriser l’épanouissement culturel, intellectuel, spirituel et politique de sa communauté.