Forum social mondial 2016
Renouveler l’altermondialisme
Dossier - Changer le monde : où allons-nous ?
Les Forums sociaux mondiaux (FSM) ont été depuis leur tout début parmi les plus importants points de rassemblements du mouvement altermondialiste. Ils offrent à celles et ceux qui croient qu’« un autre monde est possible » un moment et un espace d’échanges et de concertation. Après 15 années d’existence, avec un forum tenu pour la première fois dans un pays du Nord, à Montréal en août dernier, ils gardent toujours leur pertinence.
Depuis 2001, les FSM rassemblent les mouvements de résistance de la planète en leur permettant de se rencontrer, mais aussi en soutenant la convergence des réseaux. Le FSM 2016 d’août dernier ne fait pas exception. Il a confirmé de manière non équivoque l’importance d’un événement ouvert et rassembleur de la diversité des mouvements anti-systémiques.
Mission accomplie
Malgré les difficultés, c’est mission accomplie pour le Collectif FSM 2016. Le bilan à tirer ne doit pas se baser sur une comparaison avec les précédentes éditions des FSM, mais bien sur les concertations qui s’y sont opérées. La conjoncture politique et les contraintes logistiques propres à chacune des éditions du FSM rendent en effet leur comparaison difficile.
Le nombre élevé de visas refusés aux personnes provenant de l’extérieur n’a pas été le seul obstacle spécifiquement canadien. Les frais de séjour et de transport et, paradoxalement, les limites du financement étaient également d’importantes entraves à la participation, pas seulement en provenance de l’étranger, mais aussi des régions du Québec ou du Canada. Si tous les FSM ont eu leur lot de contraintes, celles spécifiques au Canada ont certainement été sous-estimées, et pas uniquement par le collectif organisateur.
Il n’y a pas de gêne à dire la vérité et à rendre compte de la réalité. Car s’il est vrai que le FSM 2016 n’a pas eu l’ampleur ou la diversité de celui de Mumbai ou de Porto Alegre, on pouvait tout de même, pendant toute la semaine à Montréal, échanger avec des militant·e·s de différentes régions de la planète. S’il est aussi vrai que le FSM ne s’est pas déroulé dans un contexte d’effervescence politique comparable à celui de Tunis et du printemps arabe, sa tenue a contribué à démasquer toute l’hypocrisie d’un gouvernement du G8, aussi libéral qu’il soit, quand il s’agit d’accueillir celles et ceux qui proviennent de pays du Sud.
De plus, la grande place qu’ont prise les jeunes dans le collectif organisateur et dans les comités autogérés a été l’une des caractéristiques les plus remarquables du FSM 2016. Cette participation était nettement plus importante que dans les précédentes structures d’organisation des FSM, malgré la faible présence des organisations de la jeunesse.
Par ailleurs, parmi les lacunes de cette édition dont il faudra tenir compte pour les suivantes, notons l’absence d’un lieu de rassemblement spécifique aux groupes et réseaux qui ont constitué la structure organisationnelle de l’événement. Cette dispersion des groupes a persisté jusqu’à la fin, malgré le rôle de ceux-ci dans le succès du forum. Un tel lieu est important dans la dynamique de développement des FSM et a pour but de mettre les mouvements et réseaux au cœur de l’organisation, qui doivent être les premiers à bénéficier de ces rassemblements. C’est là un important défi pour assurer la pertinence des FSM.
Renouveler les FSM pour mieux agir
Le FSM 2016 a contribué à crédibiliser la tradition des grands rassemblements ouverts. La réussite de ce forum a fait taire celles et ceux qui doutaient de l’avenir de ces forums et envisageaient même de mettre fin à l’expérience. Pour se renouveler, les prochaines éditions du FSM doivent cependant aller plus loin, continuer à se réinventer, permettre encore mieux aux luttes de s’organiser et contribuer à dynamiser les mouvements.
Comment faire pour que les débats qu’on y tient aboutissent à des actions concrètes et aillent au-delà des déclarations de principes ? Comment contribuer à l’articulation et à la concertation de l’action politique des mouvements, quand on sait que le théâtre des luttes sociales conserve toujours un caractère national ? Lors des rencontres sur l’avenir du FSM, on pouvait constater une forte tension dans les discussions, qui opposaient celles et ceux qui veulent faire évoluer ces rassemblements et les autres qui s’opposent à aller au-delà de ce qu’ils ont toujours été, un lieu inclusif favorisant les échanges et les débats.
La Charte des principes, qui établit les fondements des rassemblements depuis 2002, définit bel et bien le FSM comme un processus qui unit tous les groupes et mouvements opposés à la mondialisation néolibérale, sur la base d’un espace ouvert, non partisan et non décisionnel. Le FSM ne prend donc pas position en tant que tel. Ce sont les organisations membres du FSM qui le font.
À la faveur du quinzième anniversaire et de l’édition de 2016, différentes propositions ont été annoncées pour faire évoluer le Forum social mondial et le forcer à se prononcer sur des sujets particuliers. Deux questions ont fortement polarisé les discussions au sein du Conseil international (CI), l’organisme de coordination des FSM : la campagne de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) d’Israël et la question d’une prise de position en solidarité avec le peuple brésilien, face au récent coup d’État législatif. Devant l’âpreté des débats, tout reste à concrétiser.
Prendre en compte de nouvelles réalités
La conjoncture politique actuelle n’est plus celle d’il y a 15 ans. Les avancées du néolibéralisme ont été considérables et les pôles d’opposition se sont multipliés. Couvrir la diversité des préoccupations des organisations et concevoir des déclarations générales ne suffisent plus. Aussi, dans leur organisation, les forums sociaux mondiaux doivent mieux développer leur façon de faire et préciser leurs objectifs politiques. Il importe de les ouvrir encore plus aux nouveaux mouvements sociaux, mais aussi de favoriser une plus grande expression des luttes des mouvements, notamment pour affirmer leur nature anti-systémique.
Pour relever ce double défi, réviser les positions de base des FSM est un passage obligé. L’énorme déploiement d’énergie nécessaire à la mobilisation pour la tenue de ces rassemblements doit pouvoir être mis au service d’une meilleure concertation des organisations et des mouvements.
La création d’un lieu central de concertation, indépendant du Conseil international afin de protéger le processus des FSM, pourrait renforcer le caractère anti-systémique de ces derniers. Ce lieu pourrait prendre la forme d’une assemblée, voire d’un conseil des mouvements en lutte. Un tel levier d’action politique pour les réseaux et mouvements de première ligne pourrait ainsi favoriser l’expression unitaire des mouvements.
Les travaux réalisés par le CI au lendemain du FSM 2016, qui vont en ce sens, permettent d’entrevoir un renouveau des forums sociaux malgré les multiples contraintes qui se présenteront. Tout reste à concrétiser ! Souhaitons que celles et ceux qui ont eu à cœur la réussite du FSM 2016 de Montréal œuvrent dans une telle perspective de renouvellement de ce projet collectif et internationaliste.