Pierre Beaudet. Un rebelle visionnaire

No 92 - été 2022

Hommage

Pierre Beaudet. Un rebelle visionnaire

Marie-Hélène Bonin

Pierre Beaudet a été la principale force motrice derrière le mouvement de solidarité internationale au Québec et, plus tard, l’un des acteurs clés du mouvement au niveau mondial.

À preuve, le rôle qu’il a joué dans la lutte anti-apartheid. À mes débuts à ses côtés, en 1984, il poursuivait un objectif clair et ambitieux : développer le mouvement contre l’apartheid sud-africain au Québec, joindre nos forces à celles du Canada anglais et enfin, amener le gouvernement fédéral à modifier sa politique vis-à-vis l’Afrique du Sud et les pays voisins. Ce qui fut fait, avant que Mandela ne soit libéré en 1990.

Comme le dit notre camarade sud-africain Dan O’Meara, Pierre était le plus grand analyste et stratège du mouvement anti-apartheid au Canada. Il savait expliquer clairement les conflits les plus complexes, les mécanismes néocoloniaux d’exploitation et de domination, mais aussi les possibilités réelles de s’en libérer.

Il était également doué pour convaincre et mobiliser un large éventail d’acteur·trices autour de revendications et d’actions communes. Ainsi, nous sommes plusieurs à avoir appris de lui à militer dans un esprit de concertation, sans sectarisme ni centralisme, avec les syndicats, les communautés noires, le mouvement étudiant, les groupes de femmes, les organisations religieuses, les centres de solidarité, les organismes de coopération, les député·es, etc. Ainsi fut transformée, pas à pas, la politique étrangère et commerciale du Canada, sous un gouvernement conservateur !

Pierre était le visionnaire d’un autre monde, mais aussi un être extraordinairement inventif pour tracer le chemin afin de s’y rendre. Des défis financiers et des tensions énormes surgissaient entre les composantes du mouvement. Contre vents et marées, il continuait à avancer, tout en pestant après les timoré·es. Doté d’une capacité de travail hors du commun, il n’était pas toujours facile à côtoyer au quotidien, mais pour les internationalistes, la côte était raide, alors que les grands joueurs du business de « l’aide au développement » avaient, eux, le vent en poupe !

Rebelle créatif, il sortait donc de sa manche un nouveau projet après l’autre, tel un magicien. Toujours dans l’esprit de tisser des liens entre les réseaux visant la transformation sociale, il choisissait les interlocuteur·trices avec soin : syndicats indépendants, féministes africaines, leaders étudiants, chefs religieux, mouvements communautaire et coopératif, etc.

Cela n’était pas toujours vu d’un bon œil par nombre d’organisations canadiennes qui auraient bien voulu qu’on se contente de relayer la ligne officielle des mouvements de libération. Or, Pierre savait déjà ce que d’autres n’admettraient que trop tard : sans la vigilance et la pression des mouvements sociaux, toute organisation politique peut être corrompue ou cooptée une fois au pouvoir. Audacieux et indépendant, mais toujours fin stratège, il organisait donc aussi des rencontres avec les leaders politiques. C’est par ce savant dosage tactique que des changements peuvent survenir, a-t-il démontré.

Pierre était un être brillant, créatif et très persévérant. Il avait certes ses moments de découragement, mais il n’abandonnait jamais. Il disait : « Quand vous vous battez, vous n’êtes pas certain de gagner. Mais si vous ne le faites pas, vous êtes sûr de perdre. »

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