Environnement
Crise climatique : la solution miracle
Il se passe rarement une journée sans qu’une ONG, un gouvernement ou une sommité scientifique nous propose des solutions pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Et chaque 22 avril, nous assistons à un véritable festival des solutions climatiques dans les médias, qui célèbrent ainsi à répétition le Jour de la terre. Or, il n’existe qu’une seule solution miracle au réchauffement climatique : passer de la parole aux actes et mettre en application les solutions que nous connaissons souvent depuis des décennies.
Nous savons toutes et tous comment cesser d’émettre presque tous les gaz à effet de serre dont nous causons le rejet dans l’atmosphère, principalement en lien avec la production et la consommation d’énergies fossiles.
Dans le domaine du transport, il faut rester chez nous en optant pour le télétravail et les vacances locales. Circuler à pied, à vélo ou à vélo électrique chaque fois que cela est possible et organiser nos quartiers, nos villages ainsi que nos vies pour que cela soit presque toujours possible. S’il faut vraiment faire la navette matin et soir, choisir le métro, le bus ou l’auto électrique en mode covoiturage. Se déplacer à quatre personnes dans une voiture électrique émet facilement 90 % moins de GES que se déplacer en solo dans une voiture à essence !
En ce qui concerne le chauffage des bâtiments, il suffit de bannir les systèmes au mazout et au gaz naturel pour faire tomber les émissions de GES à presque zéro. Quant aux déchets, miser simplement sur des pratiques ancestrales aussi banales que la lutte au gaspillage alimentaire, le compostage, le réemploi des contenants et la réparabilité des objets nous fera déjà faire un grand bout de chemin pour venir à bout des GES qu’ils génèrent… en les éliminant à la source.
Rien de sorcier jusqu’ici. Et s’il est vrai que certaines activités sont plus difficiles à décarboner que d’autres, en industrie surtout, la plupart ne posent aucun défi technique digne de ce nom.
En fait, la liste des solutions concrètes d’évitement des GES est longue et archi-connue. Le Front commun pour la transition énergétique en propose des centaines dans sa Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité. Le GIEC en présente une synthèse admirable, pour chaque domaine de la vie quotidienne et chaque pilier de nos économies, dans le troisième et dernier volet de son sixième rapport, publié en avril dernier.
Le hic, c’est la mise en application.
Agir à la bonne échelle
Ni le Canada ni le Québec ne pourront faire leur juste part dans la lutte au réchauffement climatique sans que toutes les personnes qui y occupent des postes décisionnels et tous les ménages qui y vivent sachent comment éviter les émissions de GES et s’engagent dans une démarche radicale en ce sens. Néanmoins, savoir quelles sont les façons de faire à changer et vouloir les changer ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir les changer, ce qui dépend très souvent des choix collectifs et non de décisions individuelles.
Comment diminuer les GES liés aux déplacements quand notre gouvernement s’emploie à aggraver le problème en investissant 6,5 milliards $ pour construire le tunnel autoroutier Québec-Lévis et 255 millions $ sur 5 ans dans le transport aérien régional, plutôt que de réserver les fonds à une mobilité beaucoup plus verte ? Comment sortir rapidement le gaz du chauffage des bâtiments quand Québec émet un décret sur la biénergie qui en prolongera l’usage pour au moins 30 ans ? Comment éliminer nos déchets à la source dans une économie dopée à la surconsommation, au gaspillage, au suremballage et au jetable, grisée par des réglementations complaisantes, une fiscalité qui ne joue pas son rôle et de généreuses injections de fonds publics ?
Territorialiser les systèmes
Si les idéologies en place empêchent encore pour l’instant tout progrès significatif de la décarbonation à l’échelle nationale, il existe peut-être tout de même un terreau fertile à l’action climatique efficace : celui des collectivités territoriales.
À cette échelle, il est encore possible d’espérer que les acteurs clés du milieu et la population puissent agir de concert pour briser certains des verrous systémiques qui bloquent le changement. Heureuse convergence, l’action climatique territoriale a le potentiel de non seulement avoir un impact important sur les volumes de GES émis, mais aussi de permettre à la société civile de reprendre une certaine maîtrise sur ses choix collectifs, de faciliter l’inclusion des populations marginalisées dans les démarches de transition socioécologique et d’atténuer la vulnérabilité qui plombe nos collectivités au terme de plusieurs décennies de mondialisation.
À titre d’exemple, le modèle des systèmes agroalimentaires territorialisés peut remplacer avantageusement le modèle industriel mondialisé qui domine. Il permet d’envisager que s’assoient autour d’une même table toutes les parties prenantes du système agroalimentaire d’un territoire donné, y compris la population, afin de créer un système largement autosuffisant, solidaire, carboneutre et zéro déchet, respectueux de la santé des sols et des cours d’eau. Certes, on ne reviendra pas à l’époque de nos ancêtres où tout était produit et transformé à la maison. Rien n’empêche toutefois une collectivité de s’organiser pour que les productions et autoproductions agroécologiques locales occupent la part du lion de son alimentation, que personne ne souffre d’insécurité alimentaire, que le gaspillage alimentaire devienne chose du passé et que la consigne et le compostage remplacent les montagnes de contenants et résidus organiques à trier, enfouir ou méthaniser.
La même logique peut s’appliquer au domaine de l’énergie. Sans surprise, Hydro-Québec affirme dans son plan stratégique 2022-2026 que la transition exigera une hausse de nos capacités de production d’électricité renouvelable. Pourquoi nos collectivités ne se doteraient-elles pas de systèmes énergétiques partiellement territorialisés au lieu de laisser le champ libre aux partenariats d’Hydro-Québec avec des entreprises privées comme Énergir et Boralex ? Conçus en fonction des ressources et des contraintes des territoires, ces systèmes territorialisés pourraient inclure entre autres la géothermie communautaire, la récupération de chaleur industrielle, l’éolien, le solaire et la biomasse. Ils procureraient des revenus aux collectivités et leur assureraient un minimum de résilience énergétique.
Tous les systèmes peuvent être passés au crible territorial. Même si les gouvernements supérieurs détiennent un pouvoir déterminant sur les systèmes de transport, les collectivités peuvent mener des actions structurées ayant un grand impact sur l’empreinte carbone des déplacements de personnes et de marchandises sur leur territoire. Un autre exemple est ce qu’on pourrait appeler le système de production de déchets : en s’unissant entre eux et avec la population, les acteurs clés d’une collectivité (municipalité, institutions, associations de commerçants, industries, entreprises d’économie sociale, médias, etc.) ont le pouvoir de tourner le dos aux emballages, contenants et objets à usage unique, de promouvoir activement l’économie du partage, du réemploi et de la réparation, et ainsi de suite.
Changer le monde en passant par les territoires ?
Par l’ambition de son plan climat, la Ville de Montréal illustre bien les pas décisifs qu’une collectivité peut franchir malgré l’incohérence climatique des gouvernements Trudeau et Legault. Pour sa part, le projet Collectivités ZéN du Front commun pour la transition énergétique mise sur l’union des forces de la société civile sur des territoires circonscrits afin de transformer les milieux.
« À force d’éroder les brèches, on finit par éroder le système. Les acteurs en place arrivent alors à s’engager dans une transformation profonde et porteuse de grands changements », disait le professeur en innovation sociale Philippe Dufort lors d’un forum en ligne organisé par le Front commun pour la transition énergétique le 1er avril dernier. Sans constituer par elle-même une solution miracle, l’action climatique territoriale est assurément un terrain à investir pour effectuer ce nécessaire travail de sape.