Société
Noir·es sous surveillance à Montréal
En réponse à une panique morale concernant le crime armé, le SPVM a lancé une série de nouvelles opérations ciblant les jeunes noir·es et racisé·es, notamment l’installation de plusieurs nouvelles caméras de surveillance. La mise sous surveillance des personnes noires est une vieille stratégie à Montréal et elle doit être abolie.
L’année dernière a vu naître une vague de nouvelles opérations policières à Montréal, presque toutes soutenues par de nouveaux investissements publics et visant les jeunes noir·es et racisé·es dans le nord-est de la ville. Dernièrement, le SPVM a annoncé l’installation de dix-huit caméras de surveillance dans des « points chauds » de la ville. Ces caméras, maintenant en place, sont toutes situées dans des communautés noires et racisées, portant ainsi un autre coup à la dignité de ces communautés tout en omettant, une fois de plus, de s’attaquer aux inégalités sociales flagrantes qui produisent la violence sous toutes ses formes.
Surveillé·es d’hier à aujourd’hui
L’idée de mettre les communautés noires et racisées sous surveillance ne vient pas de nulle part. Comme l’explique Robyn Maynard dans NoirEs sous surveillance [1], cette idée est née avec l’esclavage et s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Les annonces d’esclaves en fuite, montre l’auteure, encourageant les citoyens blancs de Montréal et d’ailleurs à considérer les personnes noires avec suspicion et à signaler les comportements « déviants ». Après l’abolition de l’esclavage, la surveillance a continué sous d’autres formes. Au 20e siècle, diverses autorités étatiques ont surveillé les travailleur·euses domestiques et les leaders des communautés noires, en déportant un grand nombre d’entre eux et elles sous prétexte d’accusations douteuses.
Aujourd’hui, les jeunes noir·es et racisé·es à Montréal sont soumis·es à un régime intense de surveillance policière. La police est présente dans leurs écoles, elle surveille leurs matchs de basket et elle se présente aux événements communautaires.
Les jeunes Noir·es interrogé·es en 2018 par MTL sans profilage [2] ont témoigné être sous une surveillance quasi constante. « J’ouvre ma fenêtre, je vois la police en avant de chez nous », a rapporté un jeune. « Je vais au parc avec mes amis, ils sont là. » Un autre a expliqué : « On marche et on voit des voitures de police qui passent. Ils ralentissent et nous regardent. Ils s’en vont et refont le tour encore, ralentissent et nous regardent. On se sent épiés pour vrai. »
Injuste et inefficace
La surveillance, avec ou sans caméras, révèle une géographie urbaine faite d’inégalités sociales et de gaspillage de fonds publics. Les problèmes sociaux, y compris la violence, surviennent dans toutes les communautés, mais la réponse est souvent très différente lorsqu’il s’agit de communautés marginalisées. Si un problème se produit à Mont-Royal ou dans un autre quartier blanc et privilégié, personne ne suggérera de mettre des caméras pour surveiller les résident·es. Ce serait considéré comme une insulte, une atteinte à la dignité des personnes, et d’autres solutions, des vraies solutions, seraient donc offertes. Nous devons donc nous demander : quel message la ville veut-elle envoyer en augmentant encore une fois la surveillance des quartiers racisés ? En investissant dans ces communautés, encore et seulement, sous forme de surveillance et de répression ? En les épiant comme si tout le monde était suspect ?
Une expression d’injustice, la surveillance est également une réponse inefficace à la violence. Au mieux, la police peut réprimer la violence après coup – et sa décision d’installer des caméras de surveillance révèle donc ses propres échecs à même réprimer la violence qui sévit dans les quartiers que l’on défavorise. Cela dit, demander à la police de prévenir la violence signifie simplement s’exposer à plus de surveillance et à plus d’arrestations pour des actes qui n’ont souvent rien à voir avec la violence. Cela ne fait rien pour soutenir concrètement les jeunes qui se sont retrouvé·es dans la criminalité et la délinquance faute d’opportunités, de choix, et faute qu’on leur offre un autre chemin. Elle ne fait rien pour guérir les traumatismes causés par la violence, qui sont à la fois une forme de dommage durable et un facteur pouvant conduire à la violence.
En fait, la surveillance peut devenir un facteur aggravant la violence au sein d’une communauté. L’omniprésence de la police, amplifiée par les caméras, peut créer une tension dans les quartiers déjà aux prises avec des dynamiques de violences systémiques. En plus d’écorcher le tissu social d’une communauté, cela peut rendre les gens méfiants les uns envers les autres et cela n’aide pas à préserver l’esprit de solidarité sociale. La surveillance peut également nuire à la demande d’aide chez un individu. La peur d’être identifié·e ou associé·e à des activités criminelles peut pousser à garder le silence.
Repenser la sécurité
Il est possible de prévenir la violence, mais cela nécessite un changement de paradigme dans la manière d’aborder la notion de la sécurité publique au sein des communautés marginalisées. Il s’agit d’investir directement dans ces communautés plutôt que dans la surveillance et la répression. Il s’agit de combattre la pauvreté et l’exclusion, qui constituent déjà une violence sans nom pour les jeunes racisé·es et qui peuvent mener à davantage de violence. Il s’agit de financer, respecter et valoriser le travail communautaire, comme on le fait pour le travail policier. Pour prévenir la violence, les intervenant·es et travailleur·euses de rues doivent être aussi visibles, voire plus visibles que la police. Il faut des investissements à la hauteur des défis de ces travailleur·euses communautaires. Les jeunes doivent avoir accès à l’aide dont elles et ils ont besoin et cette aide doit être plus visible et prépondérante que la présence policière dans leurs quartiers. Bref, il faut réduire la violence, plutôt que d’augmenter l’oppression.
De telles mesures peuvent briser les cycles de la violence. Contrairement à la surveillance et la répression policières, elles construisent également le tissu social et favorisent le vivre-ensemble et la cohabitation saine dans les espaces publics et partout dans les quartiers. Nous sommes donc confronté·es à un choix. Nous pouvons poursuivre une longue histoire de mise sous surveillance des Noir·es, en affirmant que cela créera de la sécurité, tout en augmentant la violence et l’insécurité. Ou nous pouvons choisir une autre voie, une voie qui place la sécurité et le bien-être des communautés noires et racisées au centre des préoccupations et qui leur fournit les ressources, si souvent refusées, qui leur permettront de prospérer.
[1] NoirEs sous surveillance : esclavage, répression, violence d’État au Canada, trad. Catherine Ego, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018, 350 p.
[2] Pour en savoir plus sur cette initiative, lisez la contribution de MTL sans profilage dans notre dossier « La police, à quoi ça sert ? » : « Recherche, design et médias contre le profilage racial », À bâbord !, no 87, p. 52-54. Disponible en ligne.