Archives révolutionnaires. Des leçons du passé pour la nouvelle génération militante

No 092 - été 2022

Mémoire des luttes

Archives révolutionnaires. Des leçons du passé pour la nouvelle génération militante

Lylou Nicastro

Archives révolutionnaires est le premier centre d’archives au Québec à se donner le devoir de couvrir systématiquement les mouvements de gauche radicale. Communisme, indépendantisme, marxisme-léninisme, anarchisme, luttes autochtones, féminisme, socialisme, etc. : le collectif porte attention à toute l’extrême gauche québécoise.

François Saillant n’avait jamais vu d’exemplaire de Révolution québécoise avant tout récemment. Cette revue indépendantiste révolutionnaire, lancée par Pierre Vallières et Charles Gagnon juste avant qu’ils rejoignent le Front de libération du Québec, n’a publié que huit numéros entre 1964 et 1965, mais a contribué à diffuser l’idée d’un Québec libre et socialiste.

En découvrant le collectif Archives révolutionnaires, François Saillant, militant septuagénaire, a redécouvert ce pan d’histoire militante. Pouvoir se plonger dans des documents, parfois rares, d’anciens groupes militants est une richesse que le collectif souhaite offrir à la communauté.

Archives révolutionnaires a fait son nid dans le Bâtiment 7, situé dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, à Montréal . C’est au deuxième étage de ce centre communautaire autogéré et aux côtés d’ateliers d’arts, d’une épicerie à but non lucratif, de la brasserie artisanale les Sans-Taverne, de la salle de soins thérapeutiques ainsi que de plusieurs locaux à diverses fonctions que se situe la bibliothèque dont s’occupe Archives révolutionnaires.

Depuis 2017, les trois membres du groupe, avec l’aide occasionnelle d’une dizaine de leurs camarades, accumulent la documentation liée aux mouvements révolutionnaires québécois. Même des documents datant du 19e siècle peuvent être trouvés dans leur collection s’élargissant de semaine en semaine. Ils et elles collectionnent notamment les revues, les journaux, les affiches, les pamphlets, les brochures et tout support physique intéressant. Ils et elles possèdent même quelques vinyles produits par des organisations militantes.

Le passé au service du présent

Les membres du collectif, des militant·es dans la fin vingtaine, désirent surtout offrir des outils pratiques et théoriques aux groupes militants actuels. « Les gens arrivent avec l’intuition que le système capitaliste ou social ne fonctionne pas, mais ils ne sont pas outillés stratégiquement et tactiquement pour répondre à ce problème », explique Alexis Lafleur-Paiement, cofondateur d’Archives révolutionnaires. « On le voit dans le mouvement étudiant. À chaque trois ans, les gens doivent réapprendre à faire de la mobilisation, à faire du piquetage, à faire une grève, etc.  », ajoute-t-il.

L’idée de s’inspirer du passé pour bâtir les luttes actuelles n’est pas nouvelle. Mélissa Miller, cofondatrice du collectif, a trouvé les traces d’une idée similaire dans un manifeste de la revue Parti Pris. Déjà dans les années 60, des acteurs des luttes de l’époque estimaient que, pour créer un parti socialiste révolutionnaire fort, la mise sur pied d’un centre d’archives et de recherche était une étape primordiale. Avec leur camarade Samuel Provost, Mélissa Miller et Alexis Lafleur-Paiement mettent ainsi la main à la pâte pour voir leur projet s’épanouir à la hauteur de leurs ambitions. Tou·tes trois étudiant·es, ils et elles consacrent plusieurs heures par semaine aux Archives révolutionnaires en plus de leurs études, le tout, sans toucher un sou.

Contribuer aux luttes actuelles

François Saillant, membre fondateur de Québec Solidaire, accorde lui aussi une importance capitale à ce « devoir de mémoire ». Reconnu pour ses quatre décennies à la coordination du FRAPRU et pour les luttes qu’il a menées pour l’accès au logement abordable, il s’est aussi impliqué longtemps dans des groupes et des revues marxistes-léninistes et de gauche radicale dès les années 70. « C’est important de toujours faire les choses en lien, en référence ou en opposition à ce qui s’est vécu auparavant », dit-il.

Il a aussi fait don d’une partie de son propre fonds d’archives à Archives révolutionnaires. Il a permis au groupe de compléter certaines collections de revues en donnant les numéros manquants de Révolte et d’Unité prolétarienne, ainsi que les bulletins mensuels et brochures du regroupement de solidarité avec les Autochtones dont il faisait partie. « Qu’ils puissent mettre à la disposition des gens ces textes, brochures et journaux, qui sont souvent absolument introuvables, je trouvais que c’était important de le faire », mentionne le militant au long parcours.

Les dons d’archives sont d’ailleurs les entrées principales du collectif. Des contributions comme celle-là ne sont donc pas rares dans l’histoire d’Archives révolutionnaires. « Les gens sont très heureux de nous rencontrer, de nous raconter leurs histoires, de nous donner des documents, de savoir qu’on va non seulement les préserver, mais aussi les mettre en valeur  », explique Alexis Lafleur-Paiement. Selon lui, cette capacité au don de soi est un avantage de participer à un projet mené par et pour les milieux de gauche radicale, où la camaraderie est très forte.

Une activité en expansion

La demeure d’Archives révolutionnaires, lieu de transition vers un local plus spacieux du Bâtiment 7, n’abrite pas toute la documentation du collectif. Sur les 3000 livres théoriques et historiques que détient le groupe, les documents qu’il rend accessibles à tou·tes occupent, pour le moment, deux larges bibliothèques. On y retrouve des auteur·trices plus classiques dans l’une et des plus contemporain·es dans l’autre. Cinq boîtes et un imposant classeur rouge regroupent aussi une fraction des archives. Dans leur future salle, l’équipe d’Archives révolutionnaires pourra conserver et exhiber ses 100 mètres linéaires de documentation. Pour l’instant, de nombreuses boîtes et cartables s’entassent encore chez les membres du groupe.

Sur le divan en velours turquoise ou autour de la massive table en bois, les visiteur·euses peuvent confortablement venir se plonger dans un livre, discuter ou travailler. Les membres du collectif ne se limitent pas seulement à un travail archivistique rigoureux. Dans le but d’informer, le collectif a ajouté à ses activités l’écriture d’articles contextuels, publiés sur leur site web, présentant et expliquant le contenu de leur documentation. Ils et elles se promènent d’ailleurs régulièrement dans Montréal et à travers le Québec pour faire des présentations thématiques et pour aller à la rencontre d’autres groupes militants.

Par leurs activités, les membres d’Archives révolutionnaires essaient aussi d’encourager les différents groupes à lier leurs luttes et à s’inscrire dans un réseau de gauche radicale plus large. «  J’ai l’impression que la raison pour laquelle on numérise les archives, c’est que les mouvements d’extrême gauche ne sont pas assez forts et qu’il n’y a pas assez de passation réelle des expériences  », révèle Mélissa Miller. La mise en ligne est donc devenue un outil efficace pour diffuser les documents historiques à grande échelle.

Reconstruire la gauche radicale

Le collectif qualifie les années 80 de période d’effondrement. Alors que frappait la relance néolibérale, les mouvements de gauche radicale ont perdu bien des plumes, expliquent les membres d’Archives révolutionnaires. Les bastions marxistes-léninistes et socialistes ont peu à peu disparu. « Maintenant, on a des groupes d’affinités, des amis qui vont faire des petits trucs ensemble, souvent bénévoles », décrit Alexis Lafleur-Paiement. Même si ce vide a laissé place à une émergence plus importante de groupes anarchistes, les repères traditionnels ont été laissés de côté. Les réseaux communistes et anarchistes québécois actuels comptent quelques centaines de personnes, estime-t-il.

Les années 50 à 70, au contraire, étaient marquées par un foisonnement de groupes militants. Les partis et mouvements communistes regroupaient des milliers de membres partout au pays. « Ces groupes avaient une organisation, des institutions, des lieux loués ou achetés, des salariés, etc. », énumère le cofondateur d’Archives révolutionnaires. Le partage et la transmission de connaissances et d’archives se concrétisaient facilement au sein même des organisations.

Archives révolutionnaires veut donc pallier cette rupture dans la passation des savoirs. Les militant·es peuvent nourrir leur esprit révolutionnaire en parcourant les pages jaunies des revues de l’époque, aux titres évocateurs comme La Masse, Québec libre, Pouvoir ouvrier, et bien d’autres.

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