Aminita Traoré

No 040 - été 2011

International

Aminita Traoré

La lutte mondiale des citoyens

Amélie Nguyen

En novembre dernier, la conférence d’Aminata Traoré à Montréal s’est terminée, dans l’enthousiasme généralisé d’une salle presque comble, avec une ovation debout, chose plutôt rare dans les conférences dites sérieuses. Pourquoi ? Je dirais que le discours d’Aminata fait du bien à entendre. Bien qu’elle parle avant tout de l’Afrique et en particulier du Mali (son pays d’origine), ses propos nous permettent d’établir un lien entre notre modèle politico-économique et les conséquences qui en découlent en termes d’injustices pour d’autres sociétés. Aminata emprunte sans détour les mots qui s’imposent pour nous sensibiliser à la nature de l’étau imposé au continent africain.

Aminata Traoré, altermondialiste internationalement reconnue, voit dans le modèle néolibéral la source principale de la domination et de la pauvreté africaine, ainsi que des mouvements migratoires qui en résultent, et qui butent – pour l’essentiel – sur les politiques de gestion migratoire des États occidentaux qui obéissent à la logique sécuritaire de fermeture des frontières. Aminata nous invite à voir la part de dépréciation présente dans les discours et attitudes qui font croire aux Africains qu’ils sont inférieurs et doivent devenir comme les Occidentaux pour faire partie de l’Histoire et du progrès. Elle évoque aussi bien les humiliations de fait (les migrants clandestins chosifiés, s’échouant sur les plages de l’Occident) que les humiliations mentales.

En Afrique, le modèle économique néolibéral est caractérisé par une économie d’exportation basée sur les ressources naturelles et l’agriculture, la libéralisation des marchés, la privatisation des services publics, l’appropriation des ressources par les entreprises étrangères. Au Québec et au Canada, c’est ce modèle économique qui est prôné par les gouvernements actuels. Le gouvernement québécois s’est lancé tête baissée dans le développement de l’industrie des gaz de schistes et dans le projet du Grand Nord québécois, sans une consultation approfondie de toutes les populations touchées. De même, les gouvernements du Québec et du Canada négocient présentement un accord économique entre le Canada et l’Union européenne qui menace les services publics et la capacité de faire des choix de société (eau, éducation, santé, protection de l’environnement) et qui pourrait même inclure une clause de protection des investissements similaire au chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). En fait, pour attirer des investissements privés, nos gouvernements font primer les intérêts économiques à court terme des entreprises sur le bien commun à long terme des populations canadienne et québécoise. C’est ce modèle de plus en plus décrié ici que l’on veut imposer aux Africains.

Traoré critique également la supercherie d’une conception de la démocratie réduite au service du marché et qui se résume aux seules élections. Arrivés au pouvoir, plusieurs dirigeants africains reproduisent le modèle néolibéral en cherchant à tout prix les investissements étrangers, au détriment de l’économie locale.

Aminata Traoré insiste sur les limites du modèle démocratique ainsi promu. Évoquant les manquements démocratiques qui ont cours lors des processus de négociation commerciale internationale, elle ajoute que «  l’Europe et surtout l’Afrique des citoyens sont court-circuitées dans les réformes qui président à l’ouverture des marchés [1]. » La situation en Afrique est certes très différente de ce qui se passe dans nos sociétés. Les pays africains ne peuvent, de plus, être vus de manière uniforme. Il importe toutefois de dire à la génération africaine née après les indépendances que le modèle économique tant vanté dans les sociétés du nord est loin de contribuer à l’émancipation du continent africain. Même les sociétés occidentales qui disposent pourtant de mécanismes régulateurs inégalés par rapport à l’Afrique en pâtissent. C’est donc à une mentalité largement eurocentriste et culpabilisante présente chez nombre d’Africains qui ont incorporé la logique économiste néolibérale que s’adressent les appels à se couler docilement dans le moule de la mondialisation financière. Est-il ici utile de rappeler que le candidat Alassane Ouattara, soutenu par la communauté internationale en Côte-d’Ivoire, a été un haut cadre au sein du FMI et de la Banque mondiale ? C’est seulement quand elles ne menacent pas l’ordre dominant que les injustices faites aux opposants trouvent écho au Nord !

Enfin, le message d’Aminata Traoré appelle à prendre conscience du fait que notre mode de vie dépend de l’exploitation de gens et de ressources de pays qui en retirent peu de bénéfices ou qui en sont même affaiblis. Plus encore, elle appelle à une lutte solidaire des citoyens qui soit à la fois locale et internationale puisque les « luttes nationales et régionales contre l’exploitation des multinationales et contre l’arbitraire n’ont de chance d’aboutir que dans le cadre d’une alliance avec les citoyens européens avisés et dans celui d’un mouvement social mondial [2]. »


[1Aminata Traoré, L’Afrique humiliée, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2008, p. 223.

[2Ibid., p. 224.

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