Jacques Pelletier
Croisements littéraires et politiques. Écriture et émancipation
Jacques Pelletier, Croisements littéraires et politiques. Écriture et émancipation, Écrits à contre-courant 3, Éditions Nota Bene, Collection Interventions, Québec, 2010.
Le dernier livre de notre collègue Jacques Pelletier s’ouvre sur cet aveu : « Si j’excepte l’amour et l’amitié, les deux grandes passions de ma vie auront été la littérature et la politique. » C’est à réfléchir sur les relations parfois subtiles, souvent complexes, jamais anodines, que ces deux passions entretiennent qu’il consacre les pages qui suivent.
On y trouve trois blocs de deux essais chacun, respectivement consacrés à VLB et à Ferron, à Daniel Bensaïd et à Herman Broch et, enfin, à Robert Élie et à Pierre Gélinas. Ces trois blocs sont suivis d’études plus courtes appelées contrepoints et qui traitent notamment du spectre identitaire, des gauches et de la récente grève de l’UQAM. D’autres belles découvertes sont à faire dans ce riche ouvrage, notamment, si on ne le connaît pas, celle du regretté sociologue Michel Freitag (1935-2009), sur qui Pelletier signe un texte qui constitue un accessible premier contact avec une œuvre qui est, non sans raisons, réputée difficile.
Je ne peux évidemment pas aborder ici tous ces sujets, mais je voudrais néanmoins attirer l’attention sur un essai, celui sur Pierre Gélinas. Si ce nom ne vous dit rien, rassurez-vous : vous n’êtes pas le seul. Gélinas (1925-2009) est en effet un « fantôme littéraire » (p. 269) et un militant québécois que Pelletier exhume de l’oubli. Il est notamment l’auteur d’un roman aussi méconnu que lui : Les vivants, les morts et les autres, paru en 1959. Il connaît un parcours singulier, passant du journalisme à la militance au sein du Parti communiste, suivie du désenchantement provoqué par le rapport Khrouchtchev (1956). Devenu paria social, il s’essaie ensuite au roman et au théâtre, sans rencontrer le succès.
Pelletier souligne l’originalité de sa conception de la littérature : à l’écart des modèles alors dominants – colonialisme littéraire, provincialisme, roman spiritualiste ou psychologiste – Gélinas en défend en effet une conception plus sociale et politique. Son roman de 1959, véritable récit d’apprentissage politique dans le monde du travail et de la militance est, dit Pelletier, un des très rares de ce genre que compte notre littérature (p. 293) et il ne pouvait sans doute être pleinement compris et apprécié en son temps.
Mais son temps est peut-être venu, suggère-t-il aussi : car « les lecteurs d’aujourd’hui pourraient […] estimer que ces récits s’offrent comme de remarquables témoignages sur l’époque duplessiste, décrite pour ainsi dire de l’intérieur [...] et plus particulièrement du monde du travail, généralement ignoré par la littérature instituée » (p. 303). Le roman de Gélinas, conclut Pelletier, « rend compte à la fois du passé d’une histoire et du présent d’une lutte qui la prolonge de plus d’une manière » et permet ainsi « d’opérer un lien vivant entre hier et maintenant » (p. 304).
Le livre de Pelletier nous rappelle qu’il arrive qu’en ne renonçant à rien de ce qui lui confère sa valeur, la littérature soit aussi, de surcroît, sur le social et politique où se joue aussi le drame humain, porteuse d’autre chose, autre chose fait d’enseignements, de mémoire, de lucidité et d’espérances nourries. Il illustre aussi la constance d’un engagement et d’une pensée. Pelletier écrit à ce sujet : « Si seuls les imbéciles ne changent pas d’idée, je suis peut-être un imbécile, en effet. Mais je préfère cela à être devenu un renégat à l’instar de plusieurs militants de ma génération qui ont viré capot et renié leur jeunesse. À chacun ses choix. »
Nous sommes nombreux à lui savoir gré de cette constance, qui est tout sauf celle d’un imbécile.