Présentation du dossier du no. 40
Hull, ville assiégée
Espace urbain dégradé, un territoire à reconquérir
Le capitalisme produit l’espace. Dans son numéro 22, À bâbord ! s’est penché sur la logique de ce processus et sur les enjeux concrètement politiques et économiques de l’aménagement des espaces de vie urbaine. Ce dossier sur le droit à la ville révélait en outre que la ville est aujourd’hui le produit de la mondialisation néolibérale et que cette mise au pas du local au profit du global repose sur la complicité des baronnies locales dorénavant collées au pouvoir, mais contre lesquelles des formes inédites de démocratie urbaine et plurielle peuvent toutefois s’élever. Dans le sillage de cette réflexion,le dossier qui suit se penche sur un cas extrême dans l’histoire de la géographie de la dépossession : l’Île de Hull,devenue « centre-ville » de Gatineau.
Quartier satellite de la capitale fédérale,Hull a subi au début des années 1970 une transition économique brutale qui la fit passer instantanément de l’ère industrielle à celle de la fonction publique. Cette violente tertiarisation de son économie,par voie d’expropriations pilotées par les trois paliers de gouvernement, a saigné la population hulloise, ses habitations, ses institutions, ses commerces sous couvert d’un « état d’exception » toujours invoqué,toujours pratiqué qui empêche d’habiter des lieux dédiés à l’automobilité de milliers de servants de l’État fédéral.Symptôme de la vassalité d’une région aliénée,Hull est un faire-valoir de la riche Ottawa.
Hull, strip nocturne pour la jeunesse ontarienne. Hull,vue honteuse du Parlement. Hull, taudis. Hull, poubelle. Hull, parking.
Les contributions du présent dossier documentent le fait que la réalité hulloise est un exemple grossi d’une série d’enjeux auxquels font face de nombreuses régions du Québec,que l’on pense à l’étalement des banlieues, à la pauvreté urbaine ou à la lutte pour le patrimoine architectural et historique. Notre entretien avec Bill Clennett pose quelques diagnostics sur ce désastre d’urbanisation que les pouvoirs publics, sans imagination ni audace, ont tardé à reconnaître. Dalie Giroux, Frédéric Mercure et Michel Prévost réfléchissent sur la disparition symptomatique (voire refoulée) des
vestiges du passé industriel de Hull tantôt rayé de la carte, tantôt laminé par la circulation « toute naturelle » des travailleurs motorisés.Isabelle Fournier et Stéphane Vigneault dégagent les possibles chemins d’une revitalisation urbaine, tandis qu’Alex Dumas rappelle la hauteur des défis à relever dans le quart-monde de l’Outaouais.Ces analyses se recoupent et se nouent autour de la grande cicatrice des expropriations gouvernementales qui, par l’entremise du récit proposé par Roger Blanchette, apparaissent clairement comme donne structurelle pour toute future renaissance viable et durable d’une ville où personne n’habite mais où tout le monde circule.
Si le bédéiste Sylvain Lemay rappelle que ses personnages sont plus réels lorsqu’ils prennent vie dans des lieux réels, nous sommes tentés d’ajouter qu’il n’y a de politique et d’action réelles qu’à partir de géographies réelles.Ce dossier n’est pas que pour les « locaux ». Comme tout un chacun habite quelque part, parler d’un site concret des contradictions de l’époque, c’est parler de la géographie de tout le monde.C’est en ce sens que nous sommes tous Hullois.