Écologie
Old Harry : le trou noir du Saint-Laurent !
Le gisement pétrolier et gazier Old Harry renferme plus de 6 milliards de barils de pétrole dont 2 milliards exploitables et quelques trillions de pieds cubes de gaz naturel. Il est situé en plein cœur du chenal laurentien, à 80 km au nord-est des Îles-de-la-Madeleine et à environ 100 km au large des côtes de Terre-Neuve. Il est à cheval sur la frontière du Québec et de Terre-Neuve. Les deux tiers de la zone exploitable sont en territoire québécois. Par contre, Terre-Neuve ne reconnaît pas la frontière maritime québécoise de 1964. Il y a présentement un moratoire sur toutes activités d’exploration et d’exploitation jusqu’en 2012, et ce, seulement du côté du Québec.
Au coeur de l’écosystème
C’est un endroit stratégique d’une importance vitale pour de nombreuses espèces de poissons et de mammifères marins. Le golfe du Saint-Laurent est une mer semi-fermée, six fois plus petite que le golfe du Mexique. Les conditions physico-chimiques de cette étendue d’eau sont particulièrement complexes. L’eau y est très froide et renferme moins de micro-organismes capables de décomposer les hydrocarbures, contrairement aux eaux chaudes du golfe du Mexique. Advenant une marée noire dans le golfe du Saint-Laurent, les impacts sur l’écosystème pourraient être catastrophiques, pouvant entraîner de lourdes conséquences sur les industries des pêches et du tourisme s’échelonnant sur plusieurs décennies, affectant par le fait même les nombreuses communautés côtières des cinq provinces maritimes. Même sans déversement majeur, lorsqu’il y a exploitation, des petits déversements de l’ordre d’un baril sur mille extraits sont inévitables. Donc, il serait possible qu’un déversement progressif, en fonction de la durée éventuelle d’une telle exploitation d’environ deux millions de barils de pétrole se produise dans le milieu marin. De plus, il faut mentionner que si le golfe du Saint-Laurent n’est pas protégé, l’estuaire du Saint-Laurent ne l’est pas non plus. Ces deux sections sont indivisibles en raison des courants profonds longeant le chenal laurentien et remontant à la surface à Tadoussac.
Une gestion intégrée des ressources s’impose
Le Québec et les provinces maritimes doivent opter pour une stratégie énergétique viable, axée sur les énergies renouvelables avant de s’engager dans un développement énergétique dangereux sur les plans économiques et environnementaux comme celui des hydrocarbures. Les revenus générés par les industries renouvelables comme la pêche et le tourisme sont de l’ordre de 125 millions $ par année, et ce, uniquement pour l’archipel madelinot. Actuellement, les compagnies pétrolières doivent verser un montant largement insuffisant de 30 millions $ en cas d’incident majeur en vertu des présentes lois canadiennes. À titre de comparaison, la catastrophe écologique du golfe du Mexique a engendré des coûts de plus de 30 milliards $. De plus, le cadre de développement qui est proposé par le gouvernement n’est aucunement orienté vers un enrichissement des collectivités, mais plutôt en fonction des entreprises privées. Actuellement, au Québec, l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sont encadrées par la loi sur les mines. Cette loi est l’une des pierres angulaires de notre asservissement collectif : elle favorise la privatisation des profits et la socialisation des pertes économiques et environnementales. C’est ainsi qu’en 2009 le gouvernement québécois a obtenu seulement 31 millions $ sur les 6 milliards de revenus déclarés par l’industrie minière [1] !
Un accord contestable
Selon l’ex-député Maxime Arseneau, le Québec et les provinces maritimes auraient théoriquement le droit d’empêcher Terre-Neuve de procéder à l’exploration et à l’exploitation du gisement Old Harry. En effet, l’Office Canada Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers est l’instrument de la mise en oeuvre de l’Accord atlantique de 1987 qui ne concerne que la portion atlantique et non le golfe du Saint-Laurent : « La région faisant l’objet du présent accord comprend la région située entre la ligne de marée basse au large de la côte de Terre-Neuve et du Labrador jusqu’à la limite extérieure de la marge continentale. Face à la compétence du Canada, étant située au nord, à l’est et au sud des lignes de démarcation pertinentes entre Terre-Neuve et les provinces voisines et les territoires du Nord-Ouest [2]. »
Nous avons le choix
La coalition Saint-Laurent et une majorité grandissante de citoyens des provinces maritimes et d’ailleurs réalisent l’importance d’adopter un moratoire le plus rapidement possible afin que nous puissions jouir d’un véritable processus démocratique et transparent. Ce processus, d’une durée de deux à trois années, permettrait d’évaluer les impacts des futurs projets pétroliers et gaziers sur l’ensemble du golfe du Saint-Laurent. Les gens ont le droit d’être informés adéquatement sur les enjeux des énergies fossiles et ils ont surtout le droit de pouvoir décider collectivement de leur avenir social, économique et environnemental.
Il est inacceptable de laisser naître une industrie aussi irresponsable que celle des hydrocarbures au sein d’un milieu si fragile. Cette industrie, datant du XXe siècle, entraînera nécessairement un recul considérable de notre société. Alors qu’il est urgent d’enclencher une véritable décarbonisation de notre économie, on nous dit que ce développement sera effectué sans véritable danger, que nous devons explorer et exploiter ces ressources carbones pour le bien de notre économie et pour la survie de nos régions. Les communautés côtières du golfe du Saint-Laurent jouissent pour le moment d’une économie orientée vers l’avenir, vers une véritable durabilité, fondée sur le tourisme et sur l’industrie de la pêche depuis plusieurs décennies. L’arrivée de l’industrie des hydrocarbures risque de compromettre durablement leur mode de vie et leur économie durant les décennies à venir. On comprend du coup leur résistance.
[1] N. Mousseau, « Un autre exemple d’opposition systématique des Québécois au progrès ? », L’action nationale, vol. C, nos 9-10, Sherbrooke, 2010, p. 56.
[2] Loi sur la mise en oeuvre de l’Accord atlantique Canada-Terre-Neuve, 1987, ch. 3, art. 6 ; 1994, ch. 41, art. 37. p. 5.