Victor Serge
L’affaire Toulaév
Victor Serge, L’Affaire Toulaév, Montréal, Lux éditeur, 2010.
Écrit en 1939, ce polar politique de Victor Serge a réussi à résister au temps. Souvent rééditée, L’Affaire Toulaév nous amène à suivre le parcours d’une enquête tortueuse au sujet de l’assassinat du camarade Toulaév, occupant un haut rang dans le parti communiste soviétique des années 1930, années de la Grande Terreur. Seront ressenties les tensions, les peurs, les mensonges imposés par la machine du « chef » (l’auteur ne nomme jamais Staline). On cherchera à tout prix un coupable : « Je me fous de la vérité pourvu que le parti soit fort. »
Fils de réfugiés russes, Serge (1890-1947) prend part aux mouvements anarchistes des années 1900 en Belgique et en France. Activiste convaincu, il se rend à Moscou au moment de la Révolution d’Octobre et participe à la mise en place de l’Internationale Communiste. Témoin de la bureaucratisation du régime, il dépeint avec puissance la terreur et la suspicion qui hanteront les « vieux » révolutionnaires, « héros d’hier, déchets d’aujourd’hui » : « Les meilleurs doivent parfois être broyés car ils nuisent, précisément parce qu’ils sont les meilleurs. »
Dès les premières pages, le décor est installé. Tel un peintre, Victor Serge trace avec moult détails l’aspect des personnes et des lieux. Pour contrebalancer le climat de terreur et de danger, il insère par moments de longues descriptions poétiques, tels que la « féérie nocturne » d’un paysage de nuit, ou encore, ces mots touchants où la steppe russe revêt la force d’une photo.
Le talent de Victor Serge éclate dans ce roman. Plusieurs scènes s’apprentent à des tableaux. Le lecteur comprendra que l’impact et l’intérêt de L’Affaire Toulaév demeurent entiers.