Pierre Mouterde
La gauche en temps de crise, Contre-stratégies pour demain
Pierre Mouterde,La gauche en temps de crise, Contre-stratégies pour demain, Montréal, Liber, 2011.
L’essai de Pierre Mouterde comprend deux parties. La première s’offre comme une synthèse sur la dimension historique de l’actuelle crise du capitalisme, qui ne représenterait pas un incident de parcours dans l’évolution naturelle de ce système mais tiendrait à sa nature même. Elle ne serait pas liée seulement aux politiques néolibérales qui en constitueraient depuis 30 ans une sorte d’excès déplorable mais à son essence, foncièrement inégalitaire et anarchique, reposant sur des rapports d’exploitation et de domination et engendrant les catastrophes sociales et écologiques que nous connaissons aujourd’hui. La conclusion qui se dégage de ce rappel est qu’il faut en finir avec ce système qui a atteint ses limites et qui ne peut plus se développer et se reproduire sans provoquer de nouveaux et irréparables dégâts.
En sortir, oui, mais comment ? C’est cette question qui sert de fil conducteur à la seconde partie de l’ouvrage dans laquelle l’auteur explore des pistes stratégiques.
Son analyse repose sur un constat qui apparaît paradoxal. Si la crise s’approfondit, si ses conséquences désastreuses se multiplient, les révoltes et les résistances ne s’accroissent pas d’autant comme on pourrait s’y attendre : c’est plutôt une sorte de fatalisme et de résignation qui semble y correspondre, une attente passive qui inhibe l’action. Comment dépasser ce que Mouterde qualifie de relative « apathie » des mouvements sociaux et de « paralysie » de l’opposition politique ?
La perspective stratégique privilégiée pour relever ce défi s’appuie sur trois notions et revendications centrales. Celle d’abord de l’exigence d’une authentique démocratie qui ne reposerait pas seulement sur la représentation et la délégation, mais sur la participation et l’autogestion. Celle ensuite de la rupture avec le capitalisme, avec la loi du profit et le mode de gestion des rapports sociaux qui le caractérise. Celle enfin de l’action sociopolitique « unificatrice » qui, pour Mouterde, passe concrètement par la forme parti.
Dans le cas du Québec, cette orientation stratégique conduit à soutenir, fut-ce de manière critique, l’option représentée par Québec solidaire qui lui paraît davantage prometteuse que la rébellion libertaire. Cette dernière traduit des aspirations démocratiques louables, réalisables parfois sur le plan local, mais elle n’offre pas de perspectives globales de changement en raison de son refus radical des institutions politiques. Québec solidaire fait pour sa part le pari que la transformation sociale passe aussi par les instances politiques constituées et non seulement par l’action « dans la rue », se définissant, on le sait, comme le « parti des urnes et de la rue ».
Mouterde pense toutefois que ce n’est pas vraiment le cas dans la pratique, que cela demeure encore largement un slogan. Il n’a pas tort bien que la préoccupation pour les questions électorales a permis à ce parti de faire entendre une voix authentiquement de gauche pour la première fois sur la scène parlementaire québécoise et qu’elle a contribué à accroître son audience et son rayonnement dans l’espace public. Si la gauche québécoise s’est révélée impuissante politiquement au fil des dernières décennies, c’est entre autres pour avoir trop négligé ces considérations électorales et l’ancrage institutionnel qu’elles permettent.
Québec solidaire a ses limites : le parti, note avec justesse l’essayiste, n’a pas opté clairement pour la « rupture », ni pour une position très nette en ce qui concerne la laïcité par exemple. Il est en cheminement sur ces questions, il avance, et cela sans trop se déchirer, ce qui n’est pas un mince mérite quand on connaît l’histoire de la gauche québécoise. Et il définit sa stratégie, qui s’apparente à celle suggérée par Mouterde, dans un cadre programmatique qui lui assure un contenu opérationnel sur le plan de la pratique politique. C’est sans doute ce qu’il peut faire de mieux dans la conjoncture présente.