Vingt ans de résistance
Observer le gouvernement de Joe Biden aux États-Unis donne une sorte de tournis pas trop désagréable. Loin des déclarations spectaculaires de son prédécesseur, le nouveau président s’est lancé dans une série de mesures étonnantes qui devraient transformer le pays de façon significative. Et qui découlent de longues luttes dont on a longtemps douté des résultats.
Certains observateurs habituellement sceptiques ne craignent pas de renoncer à leur pessimisme. Selon Serge Halimi, directeur du Monde diplomatique, les États-Unis viennent d’adopter « une des lois les plus sociales de leur histoire. » Le plan de relance des démocrates, injectant 1900 milliards de dollars pour soutenir l’économie, s’attaque à la pauvreté, renforce le système d’éducation, investit de façon significative dans les infrastructures et les énergies propres.
Ces dépenses ne se font pas aux dépens d’un endettement public majeur, mais en allant chercher l’argent dans la poche des plus nantis. Biden veut annuler les baisses d’impôts du gouvernement précédent et la secrétaire au Trésor, Janet Yellen défend l’idée d’un impôt minimum de 21% pour les multinationales dans les pays de G20. Ceci aurait comme conséquence de mettre fin à la dangereuse spirale vers le bas en matière d’impôt causée par la concurrence fiscale. Ce qui a fait dire à Alain Deneault : « Enfin quelque chose qui ressemble à une avancée ».
Il ne faut pas oublier non plus la place importante des femmes et des minorités dans le gouvernement Biden : jamais un gouvernement n’aura été autant à l’image de la diversité de la population aux États-Unis.
Bien sûr, on peut se demander à quel point tout cela est suffisant, ce qui adviendra à long terme et dans quelle mesure la réaction et les vieilles habitudes reprendront le dessus. Mais la tendance n’en demeure pas moins importante. Elle semble d’autant plus surprenante que jamais Joe Biden n’a incarné le renouveau du parti démocrate. Associé au début de sa carrière à la droite du parti, il a été défini par la suite, comme un modéré et centriste, un politicien aussi souriant que terne. Il n’a certes rien bouleversé comme vice-président dans le gouvernement Obama.
Comment expliquer son récent virage ? Les mesures radicalement à droite de Trump, et très inefficaces, ont nécessité ce coup de barre (il est très souvent arrivé dans l’histoire qu’un gouvernement radical entraine par la suite un mouvement important dans le sens opposé). De même que les dépenses élevées nécessitées par la COVID-19, la crise qui en découle et la mauvaise gestion de la pandémie par le gouvernement précédent.
Mais la présence au sein du parti démocrate d’une aile clairement progressiste et ramenant sans complexe le mot honni, « socialisme », est sans doute l’une des explications les plus convaincantes de la transformation du parti démocrate. Cette aile a été représentée par Bernie Sanders pendant cinq ans, avec acharnement et une rare conviction de sa part. Un véritable mouvement s’est implanté dans l’antre de la bête du parti démocrate, méfiant face à Wall Street et aux grandes corporations, préoccupé par les inégalités sociales et le réchauffement climatique.
Sanders et son équipe sont eux-mêmes les héritiers d’un vaste mouvement qui s’est levé au moment où, au tournant de l’an 2000, l’on s’est rendu compte que les promesses de prospérité pour tous et toutes engendrées par le néolibéralisme ne se réaliseraient jamais. Au Québec, nous commémorerons, du 20 au 22 avril les vingt ans du Sommet des Amériques de Québec, alors que le gouvernement des États-Unis, entrainant dans sa suite tous les États des Amériques, proposait un accord de libre-échange poussant plus loin que jamais la marchandisation des biens et des services.
Ces vingt ans de résistances, au Québec, ne semblent pas avoir eu un élan comparable à celui en cours aux États-Unis, permettant à un parti centriste d’adopter des politiques véritablement progressistes. L’attitude de gestionnaire à la petite semaine du gouvernement Legault rappelle constamment à quel point la CAQ demeure réfractaire à tout ce qui n’avantage pas les entrepreneurs, quels que soient leurs projets.
Les quelques avancées chez notre voisin du Sud sont à suivre : après les nombreuses victoires de la droite partout dans le monde, avoir devant l’exemple de politiques qui vont dans un autre sens, dans le pays toujours le plus dominant, reste très positif. Raison de plus pour continuer nos pressions sur notre gouvernement, en prenant comme exemple la combattivité de Bernie Sanders et de ses supporteurs, et en se souvenant du grand élan populaire de Québec 2001 dont l’esprit s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui.
Participez aux événements de commémoration du Sommet des Amériques de Québec