Éditorial du no. 27
La crise... et après ?
Le système économique néolibéral ne s’est pas implanté sans heurts. Les promesses d’une prospérité universelle conséquente de la libéralisation totale des marchés n’ont pas été remplies et les crises se sont succédées à un rythme régulier, que ce soit au Mexique, en Russie, en Asie du Sud-Est, en Argentine, ou à la suite de certains épisodes dramatiques, comme celui de l’effondrement de la nouvelle économie en 2001.
La présente crise financière semble cependant d’une tout autre nature. On ne peut plus prétendre l’expliquer par des facteurs conjoncturels (corruption accidentelle, mauvaise administration, erreurs humaines, etc.), qui viennent voiler des problèmes structurels graves et l’inefficacité d’un dogme économique que l’on refusait fermement de remettre en question. Maintenant, les faux-fuyants ne sont plus possibles : la crise a bel et bien été provoquée par l’absence de réglementation du secteur financier, par l’avidité de ses magnats qui ne connaît plus de bornes, par l’incapacité des marchés à s’autoréguler, par la spéculation folle et irresponsable.
Ce qui a fait dire à plusieurs observateurs qu’avec cette nouvelle catastrophe, l’économie ne pourra plus être la même. Il sera désormais nécessaire de contrôler le marché et de le réglementer. L’économie mixte, prônée par John Maynard Keynes, redevient pour certains le modèle à suivre, alors que d’autres annoncent carrément la fin du capitalisme.
Les premières réactions des grandes puissances économiques ne nous semblent toutefois pas très rassurantes. Certes, renflouer avec vigueur les banques, y injecter des centaines de milliards de dollars ou d’euros évite l’effondrement de l’ensemble de l’économie. Mais les conséquences de pareilles mesures seront lourdes pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens, qui devront financer de différentes façons ce sauvetage, sans que les véritables coupables ne soient inquiétés, et surtout, sans que cette aide ne soit assortie de profondes transformations du système.
En fait, si la crise financière a quelque peu ébranlé ceux qui l’ont provoquée, confrontés à leur cupidité et à leur incompétence, elle ne semble sérieusement remettre qui que ce soit en cause. Les incendiaires ont désormais la tâche d’éteindre l’incendie qu’ils ont déclenché. Jusqu’à maintenant, les mêmes banquiers, les poches pleines d’argent neuf, soutenus par les mêmes politiciens et les mêmes économistes, dont la parole est joyeusement relayée par les mêmes journalistes, bref, tous ceux qui ont soutenu en chœur la totale émancipation du marché, avec un enthousiasme jamais démenti, auront désormais la tâche de « refonder le capitalisme » (dixit Nicolas Sarkozy). Peut-on vraiment y croire ? Il est loin d’être sûr que l’arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis, soutenue par le grand capital, provoque les changements espérés.
Pour les médias de masse, la crise est l’occasion de présenter un beau scénario de film catastrophe. Le mot « récession » sonne comme un glas, le recul de l’économie comme une perte irrémédiable, provoquée par une baisse de la consommation vue comme un séisme. Dans la peur, il devient difficile de prendre les bonnes décisions, et il est tentant d’approuver avec docilité les choix des gouvernements, sans cesse manipulés par le monde de la finance et par le milieu des affaires. La crise devrait nous forcer à réfléchir sur les failles d’un système basé sur la nécessité d’une croissance absolue et d’une consommation quasiment hystérique, et non devenir une nouvelle façon d’effrayer les gens.
Voilà pourquoi il est de la responsabilité de tous de réagir à cette crise. Jamais les faillites de notre système économique n’ont été aussi flagrantes. L’écroulement du système, annoncé par les altermondialistes et par les courants conséquents du socialisme, s’est bel et bien produit et il deviendrait plus approprié que jamais de bâtir cet « autre monde possible » rêvé depuis tant d’années. Cette crise devrait provoquer une réa
ction de masse, semblable au grand mouvement pacifiste tout juste avant la guerre en Irak, qui ferait une pression telle sur les gouvernements que ceux-ci entreprendraient des mesures vraiment significatives pour transformer l’économie et s’émanciperaient de la tutelle des banques et du grand capital. L’élection de Barack Obama aux États-Unis, malgré les espoirs qu’elle soulève, ne réglera rien si de puissantes pressions ne se font pas sentir de la base.
De nombreuses déclarations circulent désormais sur Internet, des groupes de citoyens et de citoyennes se mettent en branle pour pro
poser leurs solutions à la crise, des solutions dans l’intérêt général, nettement plus audacieuses que celles que les gouvernements tentent d’appliquer. Le prochain Forum social mondial, qui se déroulera en janvier 2009 à Belém au Brésil, permettra sans doute de coordonner des actions efficaces à l’échelle internationale.
Ce n’est pas par enchantement que de véritables solutions progressistes à la crise des années 1930 ont été mises de l’avant dans les pays occidentaux, mais parce que ces solutions étaient un moindre mal devant un mouvement ouvrier fort, organisé et très exigeant. Plus que jamais, il nous faut faire preuve d’audace, avec grand bruit. Il faut donc souhaiter que la réaction citoyenne sera à la mesure de la crise, que syndicats, groupes de femmes, écologistes, associations diverses, simples citoyens et citoyennes se mobilisent dans un mouvement puissant et significatif, afin que les solutions à la crise ne soient pas choisies par ceux qui en sont pleinement responsables.