Revue {Agone}
« Villes et résistances sociales »
Lu par Anne Latendresse
« Villes et résistances sociales », revue Agone no. 38/39, Marseille, Agone 2008, 272 p. inclut un DVD
Née à Marseille en 1990, la revue Agone, qui circule relativement peu au Québec, mériterait d’être davantage connue de celles et ceux qui sont intéressées par l’histoire, la politique et la sociologie dans une perspective critique.
Le numéro « Villes et résistances sociales » propose une lecture radicale des enjeux sociaux liés à la restructuration des villes. Qu’il soit appelé « gentrification », comme le fait Mathieu Van Criekingen dans ce numéro, à propos de la transformation de Bruxelles ou encore « processus de néolibéralisation » comme nous serions davantage portés à le faire, le processus à l’œuvre dans les grandes villes procède d’une même logique, celle de la production de l’espace, pour reprendre les termes d’Henri Lefebvre, en fonction de la logique et des besoins du capitalisme. Les opérations dites de revitalisation urbaine ou de développement urbain, visant notamment à séduire les grands investisseurs, rappellent à plusieurs égards les opérations de rénovation urbaine des années 1960. Tout comme ces dernières, elles misent sur l’attraction des grands équipements et des grands projets, de même que sur la construction de logements privés pour réactiver le développement de la ville. Ces opérations de lifting de la ville procèdent d’un « nettoyage social » (pour reprendre les termes de l’éditorial) : l’éloignement planifié des groupes sociaux les plus démunis du centre.
Ces processus de déstructuration-restructuration de l’espace urbain contribuent à la fragmentation sociospatiale des villes et viennent ainsi affaiblir, voire rendre impossible, le « vivre ensemble » ou la mixité sociale. Toutefois, comme les articles de ce numéro de la revue Agone le démontrent, ces opérations ne constituent pas une répétition de l’histoire. En effet, on note désormais l’action d’autres types d’acteurs, dont les artistes, les organismes communautaires, ainsi que les « spécialistes » de la ville de tout acabit incluant les chercheurs, les professeurs, les urbanistes, etc.
À ce propos, soulignons l’article de Jean-Pierre Garnier, « La volonté de non-savoir », un regard critique posé sur le rôle de ces spécialistes de la ville. Garnier dénonce avec force et véhémence l’abandon de tout esprit critique de la part des chercheurs et autres spécialistes de la ville qui ont mis au rancart l’analyse sociale pour adopter le jargon du participationniste citoyen qui, selon lui, camoufle une logique « étatisante ». Il critique à juste titre les spécialistes de la ville ayant abandonné la critique sociale radicale et, avec elle, toute aspiration à développer un cadre d’analyse macro apte à saisir les tendances lourdes pour s’attarder à décrire les phénomènes d’ordre micro, le plus souvent associés à la dimension culturelle et identitaire. Son propos, aussi nécessaire soit-il, aurait gagné à être étayé davantage, notamment en ce qui a trait au nouveau jargon associé à la participation citoyenne. Soulignons enfin l’article de notre collègue et ami Pierre J. Hamel, de l’INRS-Urbanisation, Culture et Société, qui rappelle que tous les chercheurs n’ont pas jeté le bébé avec l’eau du bain. Le travail de ce collègue montréalais sur les mirages du partenariat public-privé à partir des municipalités du Québec permet de saisir l’une des voies, sinon la voie privilégiée par les élites économiques et politiques, pour mieux privatiser la ville. Dans cet article, il montre en quoi les PPP constituent une voix privilégiée pour ouvrir et faciliter la privatisation des services dans des domaines jusque-là réservés aux municipalités.
Ce numéro est fort passionnant pour les passionnées de la ville, mais aussi pour toutes celles et ceux qui veulent saisir des enjeux majeurs de ce nouveau siècle.