Les industries de la précarisation

No 027 - déc. 2008 / jan. 2009

« Gagner sa vie sans la perdre »

Les industries de la précarisation

Jean-Marc Piotte

Les agences de placement, qui se sont multipliées depuis le début des années 1990, offrent aux entreprises le recrutement de personnel permanent et, dans plus de 70 % des cas, le prêt d’une main-d’œuvre temporaire. Au bas de l’échelle, organisme qui informe, conseille et appuie dans leurs démarches les travailleurs non syndiqués confrontés à des injustices dans le travail (non respect du salaire minimum, congédiement illégal, harcèlement, etc.), a dû faire face à ces agences dont les clients sont souvent des entreprises ne respectant pas les droits de leurs travailleurs qui demeurent sans recours devant ces atteintes.

Au bas de l’échelle (ABE) reconnaît et admet que ces industries répondent quelquefois à de véritables besoins ponctuels de main-d’œuvre : augmentation provisoire des activités de l’entreprise, remplacement de congés parentaux ou de maladie, etc. Il refuse cependant que, sous couvert de placement temporaire, elles comblent des besoins permanents, en substituant aux travailleurs en titre des gens corvéables à merci, sous-rémunérés (en moyenne, 40 % de moins), sans avantages sociaux et qui subissent 10 fois plus d’accidents que les travailleurs permanents, car on leur confie les tâches les plus risquées, entre autres parce que leurs accidents n’affectent pas la cote CSST de l’entreprise. ABE combat donc ces agences qui profitent d’un marché favorisant l’emploi précaire et atypique.

Les lois du travail sont fondées sur des relations bipartites entre l’entreprise et le salarié. Toutefois, ici, l’entreprise se dédouble entre l’agence, qui embauche, rémunère et envoie le salarié à l’entreprise-cliente, et cette dernière qui dirige et contrôle quotidiennement le travail. Qui est l’employeur lorsqu’il y a litige aux fins de respect du Code du travail, de la Loi sur les normes de travail ou des lois en santé et sécurité du travail ? Quelle juridiction s’applique lorsque l’agence, régie par les lois provinciales, fait affaire avec une entreprise-cliente soumise aux lois fédérales du travail ? Comment les personnes non syndiquées, souvent mal informées de leurs droits et hésitantes à porter plainte, peuvent-elles se retrouver dans cette confusion ? De fait, la déresponsabilisation des entreprises-clientes face à leurs travailleurs et le contournement des lois du travail sont les deux principales raisons du développement de l’industrie du placement temporaire.

Le free for all

Les ententes contractuelles entre les agences et leur personnel relèvent davantage d’un contrat d’adhésion (à prendre ou à laisser par le salarié) que d’un contrat de gré à gré (fruit d’une négociation entre les deux parties). Les pratiques de ces industries varient considérablement. Certains employés signent un contrat imposé sans en obtenir copie, tandis que d’autres n’ont qu’une entente verbale. Des clauses interdisent aux travailleurs d’occuper un emploi dans toute entreprise-cliente de l’agence, même dans celles où ils n’ont pas travaillé. Ces clauses de non-concurrence ont une extension (le nombre d’entreprises concernées) et une durée qui changent avec l’agence ; il en est de même des pénalités financières en cas de leur non-respect. Certains contrats requièrent la disponibilité entière du personnel, tandis que d’autres l’ignorent. Des agences refusent à leurs employés la possibilité d’œuvrer chez un concurrent, tandis que cela est permis ailleurs. On le voit, le personnel de ces agences a un statut inférieur au libre salarié moderne dans une industrie où le free for all domine, malgré la présence de l’Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel (ACSESS).

N’importe qui, vous, moi ou votre voisin, a le droit de créer une agence de placement qui peut, du jour au lendemain, disparaître sans laisser de traces (les fly-by-night) et ainsi se soustraire aux obligations pécuniaires contractées auprès de la main-d’œuvre qu’elle loue. Dans les cas de faillite, plus fréquents qu’on ne l’imagine, le salarié, déjà mal payé, se retrouve devant presque rien.

Une campagne

Au bas de l’échelle, conjointement avec le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT) et la Fédération des femmes du Québec (FFQ), a remis, en mai 2007, au ministre du Travail, un Rapport sur les pratiques contractuelles de l’industrie du placement temporaire dans lequel il est demandé que ces pratiques soient réglementées (on peut se procurer ce rapport sur le site d’ABE). Il n’est pas étonnant qu’ABE soit appuyé par deux organisations de femmes, le personnel de l’industrie du placement temporaire étant majoritairement féminin et, j’ajouterais, souvent d’origine immigrante. Le ministère n’a pas encore bougé, même si des politiques réglementaires existent dans plusieurs pays européens, qui se distinguent ainsi de l’esprit far west américain, et dans des pays peu industrialisés, tels que le Chili et la Turquie. Pour faire bouger le ministère, ABE, appuyé par les principaux regroupements communautaires et féministes, auxquels, j’espère, s’ajouteront les organisations syndicales, a lancé une campagne de lettres adressées au ministre du Travail. Chacun peut télécharger cette lettre sur le site d’ABE, la signer et l’envoyer au destinataire. C’est une façon simple et à la portée de tous de contribuer à la défense de la dignité de travailleurs parmi les plus démunis du Québec.

Au bas de l’échelle

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