Trois ex-ministres mercenaires

No 027 - déc. 2008 / jan. 2009

Privatisation du système de santé

Trois ex-ministres mercenaires

Lucie Mercier

Philippe Couillard, Claude Castonguay et Michel Clair ont été ministres de la Santé à Québec. Aujourd’hui, ils utilisent leur notoriété publique pour promouvoir le secteur privé et en tirer profit personnellement. Il y a conflit d’intérêts. Avec des dépenses de 142 milliards par année, environ 10 % du PIB canadien, le secteur de la santé constitue une opportunité sans précédent. Pour le milieu des affaires, il s’agit de percer ce marché sans faire trop de remous.

Michel Clair, président en 2000 de la Commission d’Étude sur les services de santé et les services sociaux (CESSSS), proposait la création de cliniques médicales spécialisées (CMS) et associées (CMA). À titre de ministre, Philippe Couillard, après avoir présenté un Livre blanc sur les garanties d’accès, faisait adopter en 2006 la loi 33 créant les CMS et levait l’interdiction d’une assurance privée duplicative pour trois chirurgies (hanche, genou, cataracte), suivies par 50 nouvelles chirurgies permises en milieu extra-hospitalier depuis l’été dernier. En 2007, en tant que président du Groupe de travail sur le financement de la santé, comité créé dans la foulée du budget du Québec, Claude Castonguay proposait d’autoriser l’assurance privée duplicative pour tous les services publics en santé, et ce, au nom de la liberté de choix. Mais ces ex-ministres sont-ils aussi désintéressés qu’il n’y paraît ?

Philippe Couillard chez PCP

Après cinq années à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, une longévité jamais vue depuis 1958, Philippe Couillard est passé au privé. Moins de deux mois après avoir démissionné, Persistance Capital Partners (PCP), le plus gros fonds privé d’investissement en santé au Canada, annonçait sa nomination comme associé et partenaire, participant ainsi aux choix stratégiques et aux décisions d’investissement. Il est entré en fonction le 1er octobre 2008.

Au début de l’année 2008, PCP achetait Medisys qui exploite 19 cliniques d’imagerie médicale et deux cliniques de voyageurs. PCP s’est déjà montré intéressé à investir dans les CMS, les CMA et l’assurance privée. Pourtant le 18 juin 2008, Philippe Couillard participait au Conseil des ministres où la décision d’autoriser pas moins de 50 chirurgies en CMS a été prise. Le 25 juin 2008, la journée même de sa démission, il participait au Conseil des ministres qui décidait de diminuer de moitié le coût des permis de CMS. La question du conflit d’intérêts n’a pas manquée d’être soulevée.

PCP ne pouvait s’associer à un meilleur partenaire. Non seulement a-t-il dirigé le MSSS pendant les cinq dernières années, mais il a piloté les lois ayant le plus transformé le réseau de la santé et des services sociaux depuis sa création en 1970. Pourtant, quelques mois auparavant, au moment de la présentation du Livre blanc sur la Garantie d’accès, il a fait et répété, main sur le cœur, sa profession de foi envers la protection du réseau public de santé.

Claude Castonguay dans les assurances et l’informatique

Claude Castonguay, faussement nommé le père de l’assurance-maladie du Québec, a été ministre de la Santé dans le gouvernement Bourassa de 1970 à 1973. Il a mené l’essentiel de sa carrière dans le milieu des assurances et des banques, notamment à la Banque Laurentienne. Plus récemment, il s’est orienté vers les technologies de l’information et du matériel médical, chez ZaQ communications, devenu ISACSOFT (technologies de l’information et carte à puce multi-services), dont il a été membre du conseil d’administration de 1998 à 2006, et chez Andromed Inc. (matériel médical), dont il est président du conseil d’administration depuis 2002. À la fin des années 1990, il était mandaté pour mettre sur pied le régime mixte d’assurance-médicaments qui, déclare-t-il, regroupe deux régimes parallèles, un public et un privé, lesquels ne se rencontrent jamais. Devant le Comité sénatorial sur la santé, Claude Castonguay soutenait qu’il faut écarter le droit à la santé. Il faut plutôt examiner la « liberté de choix pour introduire des mécanismes de marché et de concurrence ». Ce qu’il n’a de cesse d’appliquer. À la suite de la publication de son rapport, l’ex-ministre Couillard confiait à Claude Castonguay la mise sur pied de l’Institut national d’excellence en santé (INES), ayant notamment pour fonction de revoir la composition du panier des services assurés. Des désassurances de services signifieraient l’ouverture automatique de l’assurance privée complémentaire, une autre manne pour le secteur privé et ses représentants.

Michel Clair et Sedna diversifient leurs activités

Ministre de 1979 à 1985, Michel Clair a ensuite été administrateur d’établissements dans le réseau de la santé, essentiellement dans le milieu de l’hébergement des personnes âgées. Appelé en renfort en 2000 pour mener une grande consultation sur le réseau de la santé et des services sociaux mis à mal par le déficit zéro et les compressions budgétaires du milieu des années 1990, le président de la célèbre Commission ayant recommandé la « complémentarité entre le public et le privé » et la création des CMS et des CMA n’a pas perdu une minute. Il se retrouvait, dès octobre 2001, président et chef de l’exploitation de la branche canadienne de la Générale de Services Santé N.A. Inc., une multinationale française de la santé, devenue depuis 2004 le Groupe de Santé Sedna. L’entreprise se spécialise dans trois créneaux, soit l’hébergement des personnes âgées (Groupe Champlain) – qui s’en étonnera ? – la réadaptation (Villa Medica Inc.), les soins à domicile et les agences de placement en soins infirmiers (Accès Services Santé). Elle compte toutefois se diversifier avec, notamment, un projet de CMS en ophtalmologie associée au CHUM. Michel Clair a d’ailleurs été nommé au conseil consultatif créé en mai 2008 par le CHUM. Il n’y voit pas de conflit d’intérêts : « J’essaie de faire ma part dans la société », se défend-il.

De ministres à hommes d’affaires

Les ex-ministres sont ainsi devenus des gens d’affaires dont les connaissances et la notoriété publique sont bien utiles pour l’implantation d’un réseau de santé privé à la fois complémentaire et parallèle au système public de santé. Les entreprises qu’ils représentent semblent vouloir se répartir les marchés. Vraiment désintéressés les politiciens et les ex-ministres ?

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