Une réforme en santé et services sociaux
Portes ouvertes pour le secteur privé
Notre réseau public de santé et de services sociaux est à la croisée des chemins. Alors que tous les intervenants et intervenantes voient de plus en plus la nécessité de mettre leurs différends de côté afin de se mettre à la recherche de solutions rassembleuses pour améliorer l’accessibilité et mieux contrôler la croissance des coûts, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, nous lance dans des réformes qui vont dans le sens opposé de ce que nous devrions faire, qui paralyseront le réseau et pourraient diviser les différents acteurs à l’heure où il y a urgence de nous rassembler.
Conçu en vase clos, sans aucune consultation auprès des interve-nant·e·s, le projet de loi 10 est l’exemple typique d’une réforme qui aggravera les problèmes bien plus qu’elle n’en corrigera. C’est pour cela que ces derniers mois la FSSS–CSN a fait une priorité absolue de la lutte à ce projet de loi et aux politiques d’austérité dans lesquelles il s’inscrit.
À l’instigation de la CSN, deux grands rendez-vous nationaux sur l’avenir du réseau public ont été organisés ces derniers mois. En décembre, les participant·e·s – des représentant·e·s syndicaux de tous les titres d’emploi et patronaux de tous les types d’établissements, des médecins, des ordres professionnels, des chercheurs·euses, des usagers et usagères – ont mis en avant des propositions générant des économies totalisant quelque 5 milliards $ qui pourraient être mieux utilisés par l’État, notamment pour améliorer l’accessibilité aux services qui constitue notre véritable défi collectif. Des chantiers de travail seront d’ailleurs mis sur pied pour concrétiser ces solutions. Il s’agit de propositions ambitieuses, plus que tout ce que le gouvernement libéral promeut depuis son élection. Et pourtant, rien n’indique que le ministre Barrette entend prendre la balle au bond…
On doit donc se demander quels sont les véritables objectifs du gouvernement dans ces réformes qu’il entend imposer, contre l’avis pratiquement unanime de toutes les composantes du réseau.
Privatisation
Dans les projets libéraux, tout pointe vers la privatisation de services. Tout d’abord, il faut bien voir que la vaste opération de fusions des établissements de santé et de services sociaux vers de méga-établissements régionaux qui centraliseraient les décisions et les budgets entraînerait une période d’instabilité importante. Nous avons vécu cela il y a à peine dix ans, lors d’une précédente vague de fusions lancée par le ministre de l’époque, Philippe Couillard.
Non seulement ces fusions ont-elles entraîné plus de lourdeur bureaucratique, le nombre de cadres ayant augmenté de plus de 30 % depuis 10 ans, mais l’incapacité des établissements à répondre aux besoins durant cette période de restructuration a renforcé le mouvement de privatisation passive, c’est-à-dire que les citoyen·ne·s cherchent au privé ce que le public n’est plus capable d’assurer, faute de moyens.
Cette tendance à la privatisation, on la voit déjà à l’œuvre dans de nombreux secteurs, pensons à tous les examens médicaux qui sont de plus en plus réalisés au privé, faute d’une utilisation optimale des ressources au public. De plus, il y a fort à parier que, devant l’obligation légale d’équilibrer leur budget, les méga-établissements seraient tentés de puiser à même les sommes dévolues aux missions sociales, comme la prévention, les services aux jeunes en difficulté et la réadaptation, pour renflouer le volet médical. Ces services, déjà sous-financés, souffriraient davantage ; le résultat d’un hospitalo-centrisme encore plus marqué ! On peut penser que, dans certains cas, le secteur privé y verra des occasions d’affaires.
Les méga-établissements constituent en outre des marchés alléchants pour le secteur privé. Tous les services sont dans la mire, des cuisines aux laboratoires. Les conseils d’administration, nommés par le ministre, auraient toute la latitude pour privatiser ces services. Le ministre a même prévu, dans le projet de loi, un article lui permettant d’imposer lui-même aux établissements la conclusion d’une entente de services avec le privé. Ces services devront être payés par les citoyen·ne·s ou par leurs assurances privées.
Le gouvernement libéral cache bien mal son biais en faveur du privé. C’est le premier ministre actuel, Philippe Couillard, qui avait lancé les fusions d’établissements en 2003. C’est lui aussi qui a ouvert la porte à la privatisation de diverses chirurgies dans le secteur privé, par exemple le cas fameux de Rockland MD. On doit aussi à Philippe Couillard les PPP en santé, dont le CHUM et le CUSM qui, selon l’IRIS, nous coûtent jusqu’à 4 milliards $ de trop. Aujourd’hui, le ministre Barrette entend accélérer le virage vers la privatisation. Il a déjà promis de mettre en place de nouvelles super-cliniques, pour faire le travail qui devrait être confié aux CLSC déjà implantés partout au Québec.
Bref, pas étonnant que l’un des seuls éloges au projet de loi 10 soit venu de la Fédération des chambres de commerce du Québec ! Or, le privé nous coûte beaucoup plus cher, collectivement, car il doit engranger des profits. Partout dans le monde, les États qui contrôlent le mieux les coûts de leur système de santé et de services sociaux misent sur le public et sur la décentralisation du système. Le Canada fait partie des pays développés où le système coûte le plus cher par habitant, notamment parce que plus de 30 % des dépenses en santé au pays sont de nature privée. Les seuls pays développés où le système coûte plus cher qu’ici sont des pays comme les États-Unis ou la Suisse, où le secteur privé joue un rôle encore plus important qu’ici.
C’est pourtant la voie que choisit ce gouvernement. Lorsqu’il prétend n’avoir pas d’autre choix, vu l’état des finances publiques, ce ne sont que des mots. Il a le choix. Il choisit de faire payer les citoyen·ne·s pour des services auparavant soutenus par la fiscalité. Aujourd’hui, on appelle cela de l’austérité, mais c’est la suite des mêmes politiques néolibérales qui sont appliquées depuis des décennies au Québec.
Pas d’amélioration aux services
Le ministre nous promet une amélioration des services. Nous en doutons. D’abord, il remplace les membres bénévoles des conseils d’administration locaux par des gens nommés et payés par le ministre à la tête de mégastructures. La nécessaire interaction entre les établissements et les citoyen·ne·s n’aurait plus les mêmes effets d’émulation. Les décisions importantes telles que l’adoption des budgets pour un centre jeunesse ou un centre de réadaptation seraient dorénavant prises au sein d’une mégastructure, le CISSS, où les missions sociales seraient traitées comme des responsabilités secondaires.
Les fusions entraîneraient également l’abolition de points de service dans les communautés plus éloignées. C’est une perte, non seulement pour ceux et celles qui utilisent ces services, comme les personnes âgées d’un CHSLD de la petite municipalité où elles ont passé leur vie, mais aussi pour toute la communauté. C’est une catastrophe pour un village lorsqu’on ferme un établissement pour relocaliser les usagers et usagères dans une autre ville. C’est ce qui s’est produit lors du précédent train de fusions, et celles que nous annonce le ministre seront plus importantes encore.
Par ailleurs, nous sommes plongés en pleine période d’austérité, où le gouvernement exige des compressions budgétaires draconiennes à tous les niveaux. Ce que nous constatons jusqu’à maintenant, ce sont des diminutions de services fort préoccupantes. Des postes sont supprimés, partout. Comment peut-on parler d’améliorer les services dans ce contexte ?
Diviser pour régner
Un aspect peu connu du projet de loi 10 mérite d’être souligné et explique peut-être l’empressement du ministre à procéder malgré le tsunami de critiques, en espérant que cela lui donne les coudées franches pour d’autres changements à venir… Car en procédant à des fusions d’établissements, le gouvernement force également un rebrassage des accréditations syndicales. Le projet de loi prévoit ainsi que les travailleurs·euses devront choisir leur syndicat à compter du 1er mai 2015.
Le gouvernement libéral fait peut-être le pari que les syndicats mettront plus d’énergie à se concurrencer les uns les autres qu’à se réunir autour d’une cause commune comme le renouvellement des conventions collectives qui viennent à échéance le 31 mars 2015 ou encore la lutte à l’austérité qui a vu, jusqu’à maintenant, toutes les organisations syndicales se réunir au sein d’un vaste mouvement social. Il ne déplairait certainement pas au gouvernement libéral de voir la CSN, la FTQ et les autres organisations syndicales se chamailler dans les lieux de travail au lieu de dénoncer ensemble les coupes de postes d’infirmières et infirmiers et de préposé·e·s... À la FSSS–CSN, nous croyons que le mouvement syndical doit relever ce défi difficile. Nous devons demeurer unis devant ces attaques de toutes parts. C’est un piège que le gouvernement nous pose. Pour faire avancer les intérêts des travailleurs et travailleuses que nous représentons et assurer l’avenir de nos services publics, il faudra mettre nos énergies à la bonne place, c’est-à-dire combattre tous ensemble ces réformes et les politiques d’austérité.