Contre les PPP
Récupérer le bien public
par Gaétan Breton, Nicole de Sève, Martin Petit et Claude Rioux
Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, le Québec a pris le virage des PPP. Au départ les projets mis en œuvre par le gouvernement péquiste concernaient surtout les nouvelles technologies de l’information. Depuis l’élection du Parti libéral, un nouveau pas est franchi. « La détérioration de la capacité de l’État québécois à bien servir les citoyens et la préservation de la position économique concurrentielle du Québec nous imposent donc une révision du fonctionnement de l’État », de clamer le premier ministre Charest. Et cette révision doit reposer sur une réingénierie complète des manières de rendre les services à la population. Parmi les solutions à privilégier, le délestage, l’abolition, le partenariat et la privatisation occupent une place privilégiée, comme nous l’avons illustré dans ce dossier.
Selon un document du ministère des Finances, « en raison de la situation actuelle des finances publiques du Québec, il sera difficile de relever le défi que pose le renouvellement des infrastructures publiques à moins [...] d’innover dans la façon de réaliser et de financer ces nouveaux investissements [1]. »
C’est pourquoi le rythme de croisière de la réingénierie ira en s’accélérant. L’Agence sur les partenariats public-privé est créée. Le projet du prolongement de l’autoroute 25 est ficelé. Tous les grands contracteurs se bousculent tels des vautours autour du projet de construction du nouveau CHUM. Au cours de l’hiver, l’étude du projet de loi 62 nous permettra de mesurer jusqu’à quel point il sera possible pour les municipalités de créer des « fiducies d’utilité sociale » ou de signer des « contrats clés en mains » avec des organismes ou des entrepreneurs pour effectuer un ensemble de services municipaux. L’instrumentalisation de l’action communautaire ira en s’accentuant.
Les dérives de la privatisation constituent une grave menace pour l’avenir des services publics au Québec. Toute cette opération est menée dans la plus grande opacité, sans débat public et sans que l’Assemblée nationale puisse exercer son contrôle démocratique sur la nature, le contenu et les conséquences des projets actuels ou à venir. En plus de constituer une source potentiellement énorme de conflits d’intérêt et de patronage, les PPP tout comme la sous-traitance n’offrent aucune garantie d’économie, bien au contraire : une hausse des coûts et des tarifs est à prévoir. Enfin, tout laisse présager que les PPP affaibliront les conditions de travail des employéEs de l’État et la qualité des services aux citoyennes et aux citoyens.
Dans un tel contexte, la mobilisation citoyenne pour la préservation des biens et des services publics est incontournable. Cette dernière ne peut s’appuyer que sur une information claire. Ce dossier de la revue À bâbord !, sans être exhaustif, n’en est pas moins un pas important dans la conscientisation.
L’offensive des PPP a été précédée d’une mise en condition idéologique de la population : au Québec, les dépenses publiques seraient plus élevées qu’ailleurs, elles augmenteraient plus rapidement que les revenus et les impôts seraient un frein au développement économique. Le chantage à la délocalisation est également à ranger dans cet arsenal propagandiste des grandes entreprises internationales. D’un côté, on force de plus en plus les travailleuses et travailleurs à accepter des salaires moindres et des conditions de travail plus difficiles, pendant que de l’autre on les force à payer une plus grande part des dépenses collectives en transformant les impôts en tarifs. Nos gouvernements adhèrent complètement à ce discours et ces pratiques, soit par ignorance crasse soit parce qu’ils ne sont que les marionnettes de ces pouvoirs réels derrière le pouvoir politique apparent.
Il faut déconstruire ce discours et démontrer que la « réingénierie » – et au premier chef les PPP – constitue une nouvelle offensive des entreprises pour s’approprier les ressources collectives et les biens publics. Ils forment également une façon de généraliser une imposition régressive en augmentant le coût des services publics.
La mobilisation citoyenne implique aussi de raffiner notre expertise à l’égard des PPP. Quelle est la nature juridique de ces contrats, quels sont les coûts réels reliés au projet, les conditions faites aux partenaires privés, l’échéancier de réalisation et d’exploitation des projets ? En d’autres mots, débusquer tous les aspects cachés afin de savoir s’il s’agit uniquement d’un contrat de construction d’une école, d’un hôpital ou d’une bibliothèque, ou encore d’un contrat d’exploitation par un tiers privé ou si, ultimement, il s’agit de copropriété ou encore d’une cession de biens publics à l’entreprise privée. Bref, veiller à ce que le gouvernement ne soit pas engagé dans une grande braderie des biens collectifs et à ce que la raison économique ne l’emporte pas sur la préservation du bien commun.
La préservation des biens et des services publics est exigeante. Ce gouvernement se comporte en propriétaire des biens collectifs nationaux alors qu’il n’en est que le gestionnaire. Comme le signale Dorval Brunelle, « ce sont des peuples ou ce sont des nations qui détiennent la propriété des richesses naturelles, des lacs et des rivières, des biens collectifs et des patrimoines, les gouvernements n’en sont que les gestionnaires. Ils n’ont pas le droit de les aliéner [2]. »
C’est donc sur nous que repose la bataille contre la privatisation de l’État québécois. Celle-ci est loin d’être perdue. À preuve, devant la grogne populaire, le gouvernement a dû reculer sur certains projets. Il doit reculer encore plus et remettre à l’agenda politique de la société québécoise le bien commun, la distribution de la richesse, l’égalité et l’équité sur tout le territoire québécois. Pour nous, la voie est claire. Il faut prendre le maquis et se battre pied à pied pour retarder ou amoindrir les effets catastrophiques de ces politiques.
[1] Gouvernement du Québec, Cadre financier 2004-2005 et 2005-2006 du gouvernement du Québec, Présentation au Comité consultatif dans le cadre de la préparation du Forum national, 26 août 2004, p. 22.
[2] Dorval Brunelle, Dérive globale, Boréal, 2003, p. 197.