Les PPP au Québec
Des coûts plus élevés pour moins de transparence et de démocratie
par Pierre Skilling
La controverse actuelle autour des partenariats public-privé (PPP) au Québec fait ressortir le conflit de valeurs entre les secteurs public et privé. On pourrait définir le PPP comme « un projet qui consiste à faire appel à l’intérêt économique privé pour accomplir des tâches considérées traditionnellement comme étatiques. [1] » Or, l’intérêt privé n’a rien à voir avec l’intérêt public : le premier est fondé sur le profit et la rentabilité, le second sur des notions d’intérêt général et de bien commun. La critique des PPP n’a pas pour but de diaboliser le secteur privé, mais de rappeler que les relations qui se tissent entre le public et le privé sont à haut risque, entre autres pour l’accessibilité et l’équité des services publics.
L’automne dernier, des audiences publiques sur le projet de loi 61 sur l’Agence des partenariats public-privé se sont tenues devant la Commission des finances publiques (CFP) de l’Assemblée nationale. À cette occasion, les syndicats ainsi que des organismes de contrôle du gouvernement, tels que le Commissaire au lobbyisme, la Commission d’accès à l’information, le Protecteur du citoyen et le Vérificateur général du Québec, se sont inquiétés du manque de transparence de l’Agence et des contradictions entre les intentions annoncées d’encadrer les PPP et la mission de promotion confiée à l’Agence.
« Les PPP ne sont pas une panacée », déclare-t-on pour démentir que cette formule soit un pilier du plan de modernisation du gouvernement, alors qu’on crée des mécanismes la favorisant. « Tout ne sera pas fait en PPP », dit-on au Conseil du trésor pour tenter de rassurer la population, alors que le projet de loi énonce clairement que les PPP pourront s’appliquer à tout service public. Des règles d’éthique seront respectées afin d’éviter les conflits d’intérêt au sein de l’Agence des PPP, nous jure-t-on, alors que le libellé du projet de loi apporte bien peu de précisions à ce sujet et ne dit rien à propos des conflits d’intérêts dans la réalisation même des partenariats.
L’approche proposée a donc de quoi susciter de sérieuses inquiétudes. Mais, surtout, le vrai débat sur l’opportunité des PPP au Québec et sur la meilleure façon de financer et de gérer le renouvellement et l’entretien de nos infrastructures reste à faire.
Un PPP coûte plus cher qu’un financement public
Plusieurs raisons permettent d’expliquer pourquoi un partenariat public-privé finit souvent par coûter plus cher qu’un financement public conventionnel. En voici quelques-unes :
– Les organismes publics peuvent emprunter à des taux d’intérêt inférieurs à ceux qui sont accordés aux entreprises du secteur privé ;
– Les contrats de PPP étant d’une extrême complexité et comprenant souvent plusieurs milliers de pages, des coûts élevés associés aux négociations contractuelles s’ajoutent, notamment pour les honoraires des consultants retenus par le public et le privé ;
– Les profits générés par le secteur privé restent à la charge des citoyennes et citoyens, que ce soit par le biais d’une tarification ou de l’utilisation des fonds gouvernementaux. On peut penser par exemple aux tarifs prohibitifs de l’autoroute 407 en Ontario ou à l’augmentation importante du prix de l’eau dans de nombreuses municipalités en France ;
– Les coûts élevés d’un PPP ont un effet sur les capacités financières des organismes publics, qui restent responsables de la prestation des services et sont souvent obligés d’effectuer des coupures de services, comme cela s’est produit dans des hôpitaux britanniques construits sous le mode PPP [2].
Partage des risques illusoire et manque de transparence
« Bon, d’accord, les PPP sont plus chers ! » admettent plusieurs promoteurs de ce type d’entente. Mais on y gagnerait au change, nous dit-on. En effet, l’attrait qu’exercent les PPP sur le gouvernement actuel s’appuie en grande partie sur l’idée de la « meilleure valeur ajoutée », qui signifie que le contribuable « en aura plus pour son argent » avec un PPP. Pourquoi ? Parce que, selon ses promoteurs, un tel partenariat permet le partage des risques avec le secteur privé.
Parmi eux, on retrouve le gouvernement de Tony Blair au Royaume-Uni qui admet qu’un financement privé peut être plus onéreux qu’un financement public traditionnel, mais estime que ce désavantage est compensé par le fait que les risques associés à l’échec ou aux vices d’un projet sont assumés par le secteur privé.
Or, une étude universitaire réalisée pour le compte du syndicat Unison – le plus grand syndicat britannique – avance que, dans un grand nombre de projets de PPP ayant échoué, il n’a pas été possible de démontrer que le transfert de risques avait effectivement eu lieu, ni à quel coût pour les contribuables. Bien qu’on sache que depuis 1992 la dette attribuable aux PPP s’élève à 35 milliards de £ sterling (environ 82 milliards de $ CAN), la façon dont sont vraiment dépensés les fonds publics dans ces projets reste inconnue. Des chercheurs de l’University College de Londres ont voulu voir si le rapport entre la « prime de risque » payée par le public et le transfert de risques vers le privé avait pu faire l’objet d’un examen par le Vérificateur général britannique. Ils ont constaté que la structure des contrats de PPP rendait difficile l’évaluation de la relation entre le risque effectif et la prime de risque, notamment parce que le partenaire privé est habituellement un consortium ou une « société écran », créé pour l’occasion et n’assumant pas lui-même le risque, le transférant plutôt à d’autres compagnies sous-contractantes. Selon les chercheurs, le processus d’évaluation des dépenses publiques dans les PPP par le Parlement est ainsi miné et la transparence de la gestion en est durement affaiblie [3].
Les amendements proposés au projet de loi 61 donneront plus de marge de manœuvre au Vérificateur général du Québec pour examiner les livres et comptes de l’Agence des PPP et de ses filiales. Il n’en reste pas moins qu’en ce qui a trait aux ententes de PPP, notre Vérificateur risque fort de se buter aux mêmes difficultés que les responsables de la vérification comptable au Parlement de Londres. Ainsi, non seulement ces contrats négociés entre le public et le privé ne pourront être accessibles au grand public, mais on peut facilement prévoir que les parlementaires et même les institutions chargées du contrôle de l’État se verront refuser l’accès à des informations cruciales pour la bonne marche des affaires publiques (les ententes de PPP sont confidentielles comme c’est le cas du contrat du projet informatique GIRES au Québec et du contrat de privatisation de l’autoroute 407 en Ontario). Et comme en Grande-Bretagne, les informations auxquelles aura accès le Vérificateur ne lui permettront pas d’évaluer clairement le partage des risques.
Les relations entre le public et le privé finissent par mal tourner si elles sont trop étroites et mal contrôlées, et ce, toujours au détriment des citoyens et citoyennes qui en défraient les coûts et en subissent les conséquences. Une des préoccupations centrales des défenseurs du bien commun dans le dossier des PPP est celui de la transparence. Il n’existe aucune garantie que toute l’information concernant les PPP que le gouvernement signera au cours des prochains mois et des prochaines années sera accessible au public, ni même à celles et ceux qui exercent un contrôle des affaires de l’État en son nom, comme le Protecteur du citoyen et le Vérificateur général. Dans ce contexte, il y aura beaucoup de pain sur la planche pour ces organismes de contrôle, mais aussi pour les syndicats, les parlementaires, les journalistes et tous les citoyens et citoyennes qui ont à cœur les valeurs d’éthique et de transparence dans les services publics.
[1] Dorval Brunelle, Sylvain Bédard, Simon Careau et Pierre-Antoine Harvey, L’État et les partenariats public-privé au Québec, Rapport de recherche préparé dans le cadre du Protocole UQAM-CSN-CSQ-FTQ, 31 août 2004, p. 30.
[2] Seven Reasons Why Public Private Partnerships Do Not Improve Public Services, Londres, Unison, Nov. 2001, p. 3-4 (La CSN fournit une version française de ce document sur son site Internet). Voir aussi René Lawandowski, « Les vices cachés des PPP », L’Actualité, 1er décembre 2004, p. 54.
[3] Allyson Pollock et David Price, Public Risk for Private Gain ? The Public Audit Implications of Risk Transfer and Private Finance, Londres, Unison, Juillet 2004.