Économie
CHUM. Otage des PPP pour 34 ans encore
Dans le projet du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), tout est scandaleux. Il a fallu plus d’une décennie pour choisir l’emplacement. Il y a eu des dépassements de coûts de plusieurs milliards de dollars pour la construction. Et son ouverture a provoqué la fermeture de l’urgence de l’Hôtel-Dieu, réduisant de manière drastique l’accès aux soins pour cette région centrale de Montréal.
Nous pouvions penser qu’une fois le mégacentre construit, le pire serait derrière nous. Malheureusement ce n’est pas le cas, car tout ne fait que commencer. Pour l’entretien du bâtiment, le CHUM est lié pour les 34 prochaines années à une compagnie privée, Veolia. Comme le résumait un travailleur récemment, « le public paie pour que le privé décide » ; formule qui décrit très exactement ce qu’est un partenariat public-privé (PPP) dont la logique s’oppose à celle de la nécessité d’un système de santé gratuit, accessible et de qualité.
« Les murs appartiennent à la compagnie »
L’engagement de Veolia envers le CHUM est d’en assurer l’entretien normal, en échange duquel celui-ci lui verse un loyer. Toute réparation qui n’est pas jugée normale devient un extra. Dans ces cas, la compagnie peut facturer ce qu’elle veut pour accomplir le travail puisque c’est elle la propriétaire du bâtiment. C’est aussi elle qui décide qui va y travailler.
Rappelons une évidence : la nature d’une compagnie privée n’est pas de rendre service… mais de faire des profits. Il est donc tout à son avantage de déterminer si tels ou tels travaux sont couverts ou non par le contrat.
Un PPP implique donc un litige permanent entre deux armées de juristes qui se querellent sur ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire entre ce qui est facturable et ce qui est prévu dans le contrat. Une partie du budget de fonctionnement de l’hôpital atterrit ainsi directement dans les poches des avocats plutôt que de servir aux soins de santé [1].
Un exemple à ne pas suivre
Plusieurs problèmes survenus dans la construction du CHUM nous font appréhender l’apparition à court et moyen termes de nombreux vices cachés (moisissures, tuyauterie déficiente, problèmes avec les installations électriques et mécaniques) qui feront sans doute l’objet de contestations juridiques, comme c’est le cas pour le Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
Le contrat en PPP du CUSM a été décrit par la Sûreté du Québec comme étant « la plus grande fraude de corruption dans l’histoire du Canada [2] ». Le CUSM a en effet été livré avec plus de 3000 malfaçons. De plus, la firme SNC poursuit le CUSM afin d’obtenir 30 millions$ supplémentaires pour différents menus travaux que la firme refuse d’assumer bien qu’elle jouisse d’un loyer mensuel de plusieurs millions de dollars. La même chose risque d’arriver au CHUM.
Veolia : marchand d’eau
La logique du PPP joue a priori en notre défaveur, et ce, même lorsque la compagnie est de bonne foi. Pour le CHUM, nous avons des motifs raisonnables de croire qu’elle ne l’est pas.
Veolia, la firme en cause dans le cas du CHUM, est une importante multinationale française qui se spécialise dans la gestion des services collectifs, plus particulièrement dans la gestion des eaux, des déchets et de l’énergie. Veolia a défrayé les manchettes récemment dans des dossiers peu reluisants.
En France, l’entreprise a été reconnue coupable de réduire les débits d’eau des personnes ne s’acquittant pas de leurs factures (ce qui est illégal dans ce pays). Plutôt que de cesser cette pratique, Veolia poursuit pour diffamation la Fondation France Libertés, qui coordonne les actions en justice des citoyen·ne·s victimes des coupures d’eau et qui ont pourtant eu gain de cause [3].
En Roumanie, la filiale roumaine de Veolia est présentement mise en accusation pour « trafic d’influence » et « corruption active et passive », qui auraient entraîné l’explosion des tarifs de consommation de l’eau de 125% entre 2008 et 2015 [4].
Aux États-Unis, en 2016, le Bureau du procureur général du Michigan a poursuivi Veolia et la firme d’ingénierie Lockwood, Andrews & Newnam pour « fraude, négligence professionnelle et nuisance publique » dans la foulée du scandale de l’eau contaminée de Flint, au Michigan. Veolia rétorque que ce sont les autorités publiques qui lui ont dit d’« exclure » les problèmes reliés au cuivre et au plomb dans l’eau [5]. Entre-temps, plusieurs milliers de personnes ont été exposés à ces substances toxiques et 15 personnes en sont mortes.
Ouvrons les contrats secrets !
Le caractère secret des clauses commerciales du PPP qui lie le CHUM et Veolia n’aide absolument pas à apaiser nos doutes. C’est pourquoi le Syndicat des employé·e·s du Centre hospitalier de l’Université de Montréal demande au gouvernement du Québec la divulgation complète de ces clauses.
Comment expliquer que le gouvernement ne résilie pas le contrat liant le CUSM au PPP alors qu’il peut le faire sans pénalité lorsqu’il est victime de fraude ou d’abus de fonds publics comme c’est actuellement le cas ?
Comment justifier des ententes secrètes lorsqu’il est question de fonds publics, si ce n’est pour camoufler une entourloupe ? Il est difficile de croire que cela relève simplement d’une erreur de jugement ou d’incompétence de la part des autorités publiques.
Peut-être ont-elles intérêt à préserver les choses ainsi. Si c’est le cas, le problème est politique et la solution l’est donc également.
[1] Lire à ce sujet « Dossier sur les PPP – Quand le public devient privé », À bâbord !, no 8, février-mars 2005. Disponible en ligne. NDLR.
[2] Bernard Leduc et François Messier, « Saga du CUSM : “La plus grande fraude de corruption de l’histoire du Canada” », Radio-Canada.ca, 20 mai 2014.
[3] Alain Wolwertz, « Le but est de nous faire taire, pas de gagner en justice », L’Avenir, 9 novembre 2017, en ligne.
[4] « Veolia visée par un scandale de corruption dans sa filiale roumaine », Le Monde, 2 juin 2017.
[5] « Flint water firm said it was told to “exclude” lead and copper issues », MLive.com, 23 juin 2016.