Le Café de la Maison ronde. Un carrefour social pour les Autochtones

No 073 - février / mars 2018

Société

Le Café de la Maison ronde. Un carrefour social pour les Autochtones

Myriam Boivin-Comtois

Situé au square Cabot, à quelques minutes à pieds du métro Atwater, le Café de la Maison ronde cherche à favoriser la mixité sociale et l’autonomisation des Autochtones. Le projet d’économie sociale est porté par le Groupe communautaire L’Itinéraire (qui publie le magazine du même nom), avec la collaboration de l’arrondissement Ville-Marie.

Les cuisines du Café de la Maison ronde sont nichées dans les anciennes vespasiennes du square Cabot. Une multitude de tables colorées enserrent le petit bâtiment de pierre. Les arbres centenaires du parc font office de toit. Je suis attablée avec Rick Qavavauq (commis), Mélodie Grenier (coordonnatrice) et Charles-Éric Lavery (chef du développement social du Groupe L’Itinéraire). Le parc est bondé de touristes, de travailleurs·euses et d’Autochtones. Il y a quelques années, le tableau aurait été différent.

Charles-Éric Lavery explique qu’auparavant, les résident·e·s du quartier fuyaient le parc. Ceux-ci et celles-ci l’associaient à l’itinérance autochtone et à la toxicomanie. Les élu·e·s ont alors proposé au Groupe communautaire L’Itinéraire de mettre en place un café. L’objectif était de faciliter la mixité sociale dans une perspective d’équité et de progrès sociaux : « L’arrondissement a pensé réaménager le square Cabot au complet pour en faire un endroit convivial où tout le monde peut être ensemble, et non pas en confrontation. Les élu·e·s voulaient un endroit où les gens pourraient se rejoindre et manger », raconte Charles-Éric.

Dynamiter les murs

Mélodie Grenier souligne que le projet permet aussi de déstigmatiser les Autochtones : « Les gens, d’entrée de jeu, quand ils arrivent ici, ils se disent : “OK, c’est un café autochtone, donc je peux poser toutes les questions que j’ai, sans peur d’être jugé, sans tabou.” On les déconstruit, les préjugés, parce qu’on part directement des premiers concernés, qui connaissent leur histoire. C’est donc aussi ça, le rôle de la Maison ronde. »

Charles-Éric ajoute que l’entreprise d’insertion sociale est le seul restaurant montréalais à proposer des plats traditionnels autochtones à saveur contemporaine. On peut y déguster différents sandwichs faits avec de la bannique, des tacos autochtones, des salades trois-sœurs, des madeleines à la bannique, etc. Grâce à ce menu unique, le Café de la Maison ronde permet de faire rayonner la culture autochtone à travers la métropole.

Le Café de la Maison ronde s’efforce aussi de renseigner les Allochtones à l’égard des difficultés rencontrées par les Autochtones. Ainsi, le projet favorise le développement d’attitudes empathiques et cherche à provoquer le désir d’éradiquer les rapports colonialistes envers les peuples autochtones : « D’un côté, il faut aller au-delà des préjugés et dire que les Autochtones à Montréal, ce n’est pas juste de l’itinérance, de la drogue, de l’alcool. Mais d’un autre côté, il faut aussi dire que, oui, ces réalités existent, qu’il faut s’y attaquer. Et on doit le faire en prenant en compte le fait qu’ils vivent des réalités distinctes des Allochtones en situation d’itinérance du centre-ville », renchérit Charles-Éric.

Offrir un rôle informel de pair aidant

Pendant que Charles-Éric et Mélodie me présentent le projet, une femme autochtone s’approche de notre table et vient voir Rick Qavavauq, le commis du café, lui-même autochtone (comme tous les autres commis). Ceux-ci s’entretiennent pendant un moment, puis ils se font une accolade et la dame repart. La même situation se répète quelques minutes plus tard avec une autre femme. Charles-Éric m’informe que le poste de commis de café dote Rick, par la force des choses, d’un statut de pair aidant auprès des habitant·e·s du square Cabot. Ses interventions permettent d’influencer positivement les comportements et les attitudes des siens. Grâce à son rôle, il est en mesure de stabiliser les dynamiques parfois explosives dans le parc.

Renouer avec le marché de l’emploi

Rick m’indique que son poste au Café de la Maison ronde lui permet de se connecter avec son héritage culturel : « It kinda reminds me my grandmother, the time where she taught me how to cook. Everything I do here, it’s kind of a coming back. » Aussi, l’expérience au sein du Café de la Maison ronde permet aux participant·e·s de renouer avec le marché du travail : « Avant je suis venu travailler ici, je faisais mes propres projets et je faisais les artisanats, pis je faisais les sculptures de pierre à savon, pis je faisais des conférences un peu partout. Un moment donné, j’ai trouvé ça un peu plate, parce que tu n’as pas vraiment d’emploi stable. Au moins, avec le Café de la Maison Ronde, tous les jours, j’ai un horaire fixe. »

L’entreprise d’insertion est une structure intermédiaire entre l’assistance sociale et l’emploi. De ce fait, les participant·e·s ont l’opportunité de développer différentes compétences en lien avec le marché du travail, et ce, selon une régulation flexible. « Il y a des commis qui ne rentrent pas. Il y en a qui arrivent en retard. La différence entre ici et un autre milieu de travail, c’est ma méthode de gestion, explique Mélodie, la coordonnatrice. Dans mon ancien emploi, si tu avais deux ou trois jours de retard de suite, c’était dommage, mais tu étais renvoyé. On allait trouver quelqu’un qui voulait vraiment être là. Si tu ne rentrais pas travailler pendant une semaine, tu ne revenais pas. Ici, au Café de la Maison ronde, l’objectif c’est de se réinsérer dans le marché du travail. Donc, on donne des chances, mais on explique très bien que si c’était arrivé dans un milieu de travail conventionnel, tu n’aurais plus de travail. »

Par ailleurs, les bénéfices du projet ne se limitent pas aux participant·e·s recruté·e·s. L’entreprise d’insertion a également mis en place une mesure de solidarité visant à accroître l’inclusion sociale des habitant·e·s du square Cabot, soit le « café en attente ». Il s’agit, au moment de passer sa commande, de payer pour un café ou un repas supplémentaire destiné à une prochaine personne qui pourrait en avoir besoin sans en avoir les moyens.

Enjeux liés au projet

Le projet d’économie sociale fait face à deux défis principaux. D’une part, en raison de ses infrastructures extérieures (et donc de l’impossibilité de tenir le Café en activité durant l’hiver), celui-ci a une durée de vie de six mois (de mai à octobre). Comme le rapporte Mélodie, le parcours d’insertion sociale s’échelonne conséquemment sur un trop court laps de temps : « Ça fait vraiment longtemps que tu n’as pas été sur le marché du travail, tu n’as jamais travaillé dans un café de ta vie, tu n’as jamais fait de service à la clientèle, c’est beaucoup de trucs à apprendre sur le coup. Tu dois systématiquement lutter contre le sentiment de “lune de miel” parce que c’est cool, tu as un job. Tu es enfin intégré sur le marché du travail. Mais bang, finalement, tu détestes avoir une routine, du lundi au vendredi. Sauf que, avant même d’avoir dépassé cette étape-là, ton contrat est déjà terminé… » C’est donc, en quelque sorte, un parcours en dents de scie pour les participant·e·s, un éternel recommencement. De ce fait, durant l’expérience de travail, le Café tente de mettre en contact les commis avec des employeurs potentiels (ou encore, s’assure qu’il y ait une suite positive, après).

De plus, la viabilité du projet dépend du soutien de l’arrondissement Ville-Marie : le Groupe communautaire l’Itinéraire, qui permet au Café de la Maison ronde d’occuper leur local sans payer de loyer, est mandaté par la Ville et celle-ci pourrait bien confier à un autre organisme le mandat en question. À cet égard, l’entente initiale avec l’arrondissement prenait fin en 2017, or celle-ci a été reconduite jusqu’à l’été prochain, mais pour une durée encore indéterminée. La survie du projet n’étant donc jamais assurée ; il ne reste plus qu’à croiser les doigts et à espérer que le caractère essentiel de la mission suffise à convaincre les décideurs et décideuses de son importance !

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