Dossier : Gaspésie - Forces vives
Les utopistes en action
René Lévesque compara un jour le Québec à une main riche d’un duvet de forêt ouverte sur le monde et dont le pouce serait sa Gaspésie. Félix Leclerc décrivit la Gaspésie comme notre pays intérieur, patient, silencieux, inconnu, mystérieux d’où viendra le cri qui fera peur à tout le monde…
En 1991, 7 500 personnes se sont entassées dans l’aréna de Chandler pour dire qu’elles en avaient assez. Dire non à l’exploitation sauvage des ressources et des gens. Dénoncer les causes de ces abus et célébrer la richesse de leur région et du peuple qui l’habite. Ils y ont créé le manifeste gaspésien et madelinot criant leur désir d’être heureux dans leur propre pays.
Aujourd’hui je me questionne si ce cri dont parlait Félix Leclerc viendra d’ici. En sera-t-il un d’horreur dû aux conséquences d’un développement imbécile face auquel la Gaspésie s’est retrouvée à plus d’une occasion au cours de son histoire ? Ou y aurait-il des descendant·e·s d’Esdras Mainville, créateur de la colonie agroforestière de Grande-Vallée en 1938, qui seraient prêt·e·s à défier l’establishment ?
Foisonnement d’initiatives
Si le château de cartes politique peut basculer du côté d’une Gaspésie industrielle, cette fragilité gouvernementale permet aussi la mise en place d’un nombre grandissant d’initiatives populaires de gens qui sentent le besoin de s’organiser au lieu de se faire organiser. Que ce soit culturellement ou financièrement, de la microbrasserie utilisant du houblon gaspésien à la scierie du deuxième rang fonctionnant avec un devant de van alimenté par l’huile de patates frites du resto du coin, en passant par une communauté d’anarchistes visitée par des centaines de personnes chaque été, la Gaspésie bouillonne d’ingéniosité et est porteuse d’espoirs. Des habitant·e·s de villages à la toponymie évocatrice comme Val-d’Espoir qui résistent à la dévitalisation avec un projet de produire la santé ensemble [1], grand prix de la ruralité en 2013 et aujourd’hui transformé en une épicerie-café, à la revitalisation par de petits groupes d’irréductibles provenant de municipalités qu’on a voulu éradiquer comme St-Octave-de-l’Avenir, le territoire entier de la Gaspésie est truffé de projets dont on parle encore bien peu. Et si la Gaspésie devenait un pays libre ? Parlerait-on d’elle un peu plus ?
À l’été 2015, un groupe de Gaspésien·ne·s publie Sécession : et si la Gaspésie devenait un pays libre. Onze chapitres appelés Réponses présentent le point de vue de personnes habitant le territoire gaspésien. L’histoire, l’économie, la structure organisationnelle, la culture, le côté politique et les alternatives y sont explorés dans le langage accessible de citoyennes et citoyens s’adressant à leurs pairs. Au final, les porteurs du projet ne demandent pas nécessairement au gouvernement qu’il aide la Gaspésie, mais s’il pouvait arrêter de lui nuire, ce serait bien apprécié !
Présenter de manière à leur rendre justice l’entièreté des projets citoyens en germination présentement en Gaspésie prendrait plusieurs pages – encore faudrait-il les connaître tous. Comme c’est le cas partout au Québec présentement, des individus autant que des regroupements citoyens, les uns dégoûtés par le Système, les autres éternels optimistes, se donnent et prennent les moyens d’agir pour vivre tel qu’ils l’entendent. C’est le cas des membres du laboratoire d’utilité sociale le Hameau 18 de Cap-au-Renard, près de Sainte-Anne-des-Monts en Haute-Gaspésie, qui occupent de manière consciente le territoire à leur disposition.
La fin autant que les moyens
Ce qui caractérise les projets alternatifs, c’est souvent leur façon de prendre leurs décisions. On prend rarement des raccourcis pour arriver rapidement à une solution « facile ». Le consensus, le consentement, la sociocratie, l’holacratie font partie de leur quotidien. Compromettre l’intégrité à long terme du territoire pour disposer d’un déchet n’est plus une option pour ces groupes qui travaillent à agir consciemment. L’aspect financier n’est plus le but ultime à atteindre. L’argent, qui n’est pas au cœur du projet et qui est souvent limité, ouvre la porte à une belle créativité.
À Cap-au-Renard donc, on a retiré la spéculation de l’équation en créant une coop d’habitation et en mettant en place une procédure d’accueil permettant à toutes et tous de vivre la possibilité d’intégration de manière humaine et la plus juste possible. Un projet similaire est en création à Mont-Louis pour regrouper les travailleuses et travailleurs de l’économie sociale et solidaire et pour retirer du marché spéculatif des terres utiles.
Des hameaux comme ceux-ci occupent l’esprit de bien d’autres personnes qui rêvent elles aussi de s’établir dans un lieu réfléchi autour de valeurs écologiques, d’équité et de solidarité. L’autonomie alimentaire fait aussi partie de l’équation, forcément. À Val-d’Espoir, à Douglastown, à Saint-Louis-de-Gonzague, à Saint-Godefroi, à Maria et à bien d’autres endroits de la Gaspésie, l’autonomie alimentaire n’est plus une utopie. Et lorsqu’on goûte à un type d’autonomie, on a faim pour tous les autres types.
[1] Lire Myriam Landry, « L’alimentation comme levier de revitalisation », À bâbord !, no 64, avril-mai 2016. Disponible en ligne.